Paul Vayssière est né en 1889 à Marseille. Son père, Albert (1854-1942), entomologiste et malacologiste, fut professeur de zoologie à la faculté des sciences de Marseille, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Marseille et membre de la Société Nationale d’Acclimatation et de l’Institut. Paul Vayssière gardera tout au long de son existence beaucoup de respect pour son père, dont il a écrit la biographie vers la fin de sa propre vie. Sa mère Claire Reynard-Lespinasse eut trois fils avec Albert : Paul, Jean, qui deviendra officier d’artillerie en Orient et Émile, professeur de gynécologie à l’école de médecine de Marseille. Paul Vayssière grandit dans un environnement de naturalistes qu’il ne quittera pas : « ce penchant vers les choses de la Nature, […] fut puissamment accentué par le fait que je fus, dès ma plus tendre jeunesse, à la meilleure école qui soit : celle de mon père, qui n’a jamais négligé une occasion d’éveiller mon intérêt pour les êtres vivants ou fossiles rencontrés au cours de nos promenades ou excursions. Par lui, me fut également facilitée la fréquentation de naturalistes nés, tels Henri Fabre, Philippe Dautzenberg, Jules Richard, Henri Caillol. Plus tard, dès mon arrivée à Paris, je fus paternellement accueilli par un des hommes les plus vénérés ici-même, le professeur Louis-Eugène Bouvier dont l’activité, l’enthousiasme communicatif développèrent les tendances mises en moi par l’atmosphère familiale.  » [1]
Paul Vayssière fait ses études à l’Institut National d’Agronomie Coloniale (INAC) de Nogent, o๠il entre en 1910. Il devient en 1912 l’adjoint de Paul Marchal, directeur de la Station entomologique de Paris. Il y donne pour la première fois en France un enseignement d’entomologie agricole tropicale ; il a déjà effectué deux missions de prospection au Maroc, en 1908 et 1912.
Il participe grandement à la formation de chercheurs dans le domaine de l’agriculture coloniale et s’emploie à faire de ses élèves de Nogent et de ses correspondants dans les colonies des pionniers, découvreurs de contrées exotiques reculées et porteurs de l’entomologie agricole tropicale naissante. Il crée ainsi progressivement les fondements d’une discipline nouvelle et s’emploie à faire reconnaître l’importance économique des insectes.
Lors de la première guerre mondiale, il est réformé mais s’engage malgré tout comme motocycliste dans les services de liaison jusqu’en 1917.
Il est l’un des secrétaires de la section faune du premier congrès international de protection de la nature qui se déroule à Paris en 1923. À cette occasion, il côtoie de grands pionniers de la protection de la nature : Raoul de Clermont, Paul Sarasin, P.G. Van Tienhoven… Il fonde l’Office français de protection de la faune, organisation membre de l’Union Internationale des Sciences Biologiques (UISB), qui reprend les projets exprimés à Berne en 1913 et à Paris en 1923.
Simultanément, il pointe la nécessité de protéger les réserves de denrées alimentaires contre les insectes. En 1924, un enseignement spécial lui est confié à l’école de meunerie de Paris. Il est à l’origine de la création de stations de désinfection par fumigation sous vide partiel dans les principaux ports d’importation. En 1924 toujours, il participe à la création de l’Académie des sciences coloniales puis à la fondation de l’association Colonies-Sciences. Ces organisations regroupent des personnalités de la protection de la nature dans les colonies, dont Auguste Chevalier, Henri Humbert, etc. ; lors de la conférence internationale de 1923, Paul Vayssière se joint à l’expression du vœu de création dans les colonies françaises de parcs réservés o๠la nature serait conservée « intacte  ».
En décembre 1926, il est sous-directeur de la station d’entomologie de Paris à l’Institut National Agronomique (INA). Il présente au bureau de Colonies-Sciences un projet d’organisation de la protection des cultures à l’échelle de tout l’empire colonial français, prévoyant de concentrer les recherches et les services exécutifs dans des stations centrales parisiennes à l’INAC ou à l’INA. Il attend de cette centralisation qu’elle permette aux scientifiques et aux techniciens de mettre leur compétence en action sans passer par les pouvoirs locaux. Il appelle en effet de ses vœux un renforcement du pouvoir gestionnaire des scientifiques.
En janvier 1932, il fonde le comité d’études de la biologie des acridiens. Il est l’un des principaux « lanceurs d’alerte  » sur les dégà¢ts causés aux cultures par les insectes, en particulier les criquets. Il participe aux conférences internationales sur le criquet de 1931 (Rome) et de 1938 (Bruxelles). Comme spécialiste des insectes ravageurs, notamment des cochenilles, des sauterelles et des criquets, il est un interlocuteur privilégié des ingénieurs et chercheurs des colonies françaises confrontés à des dégà¢ts d’insectes aux cultures. Tout au long de sa carrière, son terrain d’études couvre largement les colonies africaines françaises. Il est membre de la Société d’histoire naturelle d’Afrique du Nord et effectue également des missions dans les grandes plantations d’hévéa de Malaisie.
Au-delà de son implication dans la lutte antiacridienne, il est partisan de la modernisation agricole. Membre de la commission « agriculture  » de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, il rapporte l’activité des stations françaises de désinfection des végétaux de 1934 à 1936, appelle à l’adoption de l’ensilage hermétique, à l’intensification de la production de poissons d’eau douce, au développement de l’industrie des plantes aromatiques, à essence et médicinales et s’intéresse à divers problèmes techniques et industriels. Il s’émerveille devant la puissance transformatrice de l’homme qui a remplacé le « chaos de la jungle  » par la « belle ordonnance  » des plantations d’hévéas : « Oh ! Tout ne fut pas aussi simple et facile qu’on pourrait le supposer en face des alignements vastes et réguliers d’hévéas, dans les plantations actuelles ! La prospérité dans un ordre parfait donne toujours l’impression que les choses ont toujours été telles ou qu’il n’y a fallu qu’un peu de méthode pour créer un équilibre et l’on imagine mal que le chaos de la jungle ait pu précéder une si belle ordonnance. On ne doit pourtant pas oublier la somme des efforts, la peine, l’acharnement, le courage enfin de tout un groupe d’hommes qui ont contribué à la créer.  » [2]
En 1942, il obtient la chaire d’entomologie agricole coloniale, nouvellement créée au Muséum National d’Histoire Naturelle. Lors de son discours inaugural, il rappelle que Paul Lemoine, directeur de 1932 à 1936, avait assigné au Muséum une quatrième mission : « la protection de la nature aux Colonies, de façon à empêcher celles-ci de dilapider leurs richesses naturelles et à les amener à assurer leur avenir.  »
Avec Auguste Chevalier, Henri Humbert et Achille Urbain, eux aussi professeurs au Muséum, il appuie le professeur René Jeannel dans la création de l’Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer (ORSTOM) en 1943, profondément convaincu du rôle civilisateur et bienfaiteur de la colonisation. Tout au long de sa carrière, il est porteur d’une internationalisation des problèmes de sciences appliquées et prône la coordination et la coopération internationales dans la lutte contre les fléaux des cultures. Il participe à la première conférence internationale pour la protection contre les calamités naturelles à Paris du 13 au 17 septembre 1937, au cours de laquelle est formulé un souhait de création de parcs nationaux et de réserves.
Au congrès international d’entomologie de Stockholm (1948), il impulse avec Filippo Silvestri la création, au sein de la division de biologie animale de l’Union Internationale des Sciences Biologiques (UISB), d’une Commission Internationale de Lutte Biologique (CILB). Il en devient le vice-président en 1956. Il contribue avec Bernard Trouvelot, Alfred-Serge Balachowski et Pierre Grison à l’émergence d’une politique de recherches dans ce domaine, alors que la lutte chimique poursuit une ascension triomphante. Vers la fin des années 1950 commence une réflexion qui conduira au concept de lutte intégrée, fondé sur la combinaison entre la lutte chimique et toute autre forme de prévention ou protection.
En 1947, il participe à la conférence de Brunnen, prélude à la constitution de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Il y propose de créer une commission mixte UICN-UISB (qu’il représente alors) : il est en effet convaincu que la protection de la nature relève d’une compétence avant tout scientifique et doit s’appuyer sur une connaissance approfondie des milieux naturels. Il est ensuite membre de la commission de rédaction du projet de constitution de l’UICN.
Lorsque la loi sur les parcs nationaux est adoptée en 1960, Paul Vayssière est engagé dans la protection de la nature au plan international. Mais il a aussi de fortes attaches locales : il possède un chalet à Peisey-Nancroix et connaît bien la Vanoise, o๠il effectue des courses d’alpinisme. Il s’engage dans le processus de création du parc national, qui aboutit en juillet 1963, puis s’implique dans l’animation de son conseil scientifique et de son conseil d’administration. Il est vice-président du conseil d’administration de 1964 à 1974 et président du conseil scientifique de mai 1969 à 1976.
Le parc national suisse de l’Engadine, o๠l’intervention humaine est quasiment nulle, est pour lui un modèle. Il conçoit la nature dans le parc national comme un trésor esthétique à conserver pour éduquer le public : « Nous devons montrer au public la beauté de la nature, quand l’homme n’intervient pas.  » [3] Sa profession d’agronome reprend toutefois le dessus dans la zone périphérique, o๠il aimerait que les cultures, encore importantes au début des années 1960, soient « améliorées  ».
En 1970, il lance la collection des Travaux Scientifiques du Parc National de la Vanoise. Cette même année, il ouvre le colloque sur les parcs nationaux européens, organisé par la Fédération Française des Sociétés de Sciences Naturelles, dont il est secrétaire général. Ce colloque constitue une occasion de manifester, à l’échelle européenne, l’opposition des naturalistes au projet d’implantation d’une station de sports d’hiver en zone centrale du parc, qui a déclenché l’« Affaire de la Vanoise  ». Paul Vayssière a clairement pris parti en faveur du maintien de l’intégrité de l’espace protégé, réaffirmant « l’utilité, l’obligation morale de conserver quelques parcelles de notre planète qui justement n’ont pas encore été trop altérées par l’industrialisation  » [4]. Il estime qu’il faut accorder plus de pouvoir aux scientifiques si l’on veut éviter que l’ « Affaire de la Vanoise  » ne se reproduise : en tant que détenteurs de connaissances objectives, c’est à eux, pense-t-il, que devraient revenir la tà¢che de désigner et de délimiter les espaces à protéger, puis celle de définir les mesures à y mettre en œuvre. Par ailleurs, il prône l’éducation au respect de la nature à partir du plus jeune à¢ge. Il est ainsi pétri de ce que Michel Callon propose d’appeler le « modèle de l’instruction publique  » [5].
À côté de son engagement dans le parc national de la Vanoise, il soutient le projet de création de la réserve naturelle des Aiguilles Rouges, en Haute-Savoie. Le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) charge Paul Vayssière de constituer un dossier à ce sujet, qu’il expose en février 1973 ; la demande de création de la réserve aboutit en aoà »t 1974.
Membre du comité permanent du CNPN à partir de mars 1961, Paul Vayssière effectue une étude scientifique du projet de parc national des Écrins. Il préconise par la suite de privilégier la création de réserves dans les zones périphériques plutôt que la création de réserves intégrales dans la zone centrale des parcs, à l’abri des menaces. Il quitte son poste de vice-président du comité permanent du CNPN le 2 juin 1977, en même temps que Clément Bressou, avec lequel il a partagé de nombreuses positions en faveur de la protection de la nature.
Paul Vayssière décède en 1984 à Paris. Son parcours témoigne d’une certaine ambivalence, qu’il partage avec d’autres scientifiques, à l’égard de la nature et de sa protection. Il s’est simultanément engagé dans la protection des cultures contre les insectes ravageurs et dans la protection de la nature. Agronome dans l’à¢me, il a participé à des transformations profondes de la nature, visant à faciliter son exploitation et à protéger l’homme de certaines de ses manifestations. Mais il a aussi été un naturaliste convaincu. Il a admiré la beauté de la nature et s’est de plus en plus orienté vers la lutte intégrée, la lutte contre l’introduction d’espèces envahissantes et la protection de certains espaces. Les parcs nationaux et les réserves naturelles constituaient selon lui des parcelles à préserver de l’industrialisation, utiles à l’observation scientifique et agréables à parcourir pour le public. Face à l’accélération des progrès techniques au cours du vingtième siècle, l’impératif de mesures de protection de la nature et de conservation de ses ressources a pris à ses yeux un caractère croissant d’évidence.
Sources :
– Conférence internationale pour la protection de la nature Brà¼nnen 1947
– Le parc national de la Vanoise, La protection de la nature, équilibres naturels, parcs nationaux et réserves naturelles, C. Bressou et P. Vayssière
– Les parcs nationaux, compte-rendu du colloque international sur les Parcs Nationaux européens tenu à Paris, 15 au 17 juin 1970
– Histoires et mémoires du parc national de la Vanoise, Isabelle Mauz
– Histoires et mémoires des réserves naturelles de Haute-Savoie, Isabelle Mauz
– Un regard sur l’ORSTOM, Michel Gleizes
– Comptes rendus de l’Académie d’Agriculture, recherche pour une agriculture viable à long terme, vol.80, n°8, 1994
– Les chemins de la création de l’ORSTOM, du Front Populaire à la Libération en passant par Vichy, 1936-1945, Christophe Bonneuil et Patrick Petitjean
– International experimentation and control of the locust plague, Antonio Buj
– Bulletins du C.I.L.D.A
– Bulletins de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, 1936-1938
– Bulletin de la Société des Sciences Naturelles du Maroc
– Bonneuil Christophe (1990). Des savants pour l’Empire, les origines de l’ORSTOM. Cahiers pour l’histoire du CNRS. 1990-10
– Grison Pierre (2002). Chronique historique de la zoologie agricole française. Livre Ier. INRA
– Archives du conseil d’administration et du conseil scientifique du parc national de la Vanoise
– Courrier de la Cellule Environnement de l’INRA n°15, La lutte biologique : un aperçu historique par Pierre Jourdheuil, Pierre Grison et Alain Fraval, département de zoologie de l’INRA
– Procès-verbaux et comptes rendus des réunions plénières du CNPN et de la Comité Permanent, 1961-1977
– Leçon inaugurale faite au Muséum National d’Histoire Naturelle le 21 février 1943
– Agronomie malaise : notes de mission, P. Vayssière
– L’entomologie agricole coloniale. 1921-1935. Travaux et souvenirs, par P.Vayssière
– Congrès international pour la protection de la nature, Paris, 1923. Rapports, vœux, réalisations, 1925
– 1ère Conférence internationale pour la protection contre les calamités naturelles. Paris 13-17 septembre 1937.
Bibliographie partielle de Paul Vayssière :
– Sur quelques insectes nuisibles sur le cotonnier en AOF avec Mimeur. J
Les sauterelles fléau de notre domaine africain, Monde colonial illustré, n°77, Paul Vayssière 1930
– VAYSSIÉRE P., 1955.- Chap 12. Les animaux parasites du caféier. p. 233-318 (Acrididae p. 242-243).- In Coste R., Les caféiers et les cafés dans le monde, tome 1, Les caféiers, Larose, Paris, 381 p.
– VAYSSIÉRE P., 1959.- Le Criquet nomade et le Criquet pèlerin en 1959.- Revue pour l’Étude des Calamités (Bulletin de l’Union Internationale de Secours), n° 36 : 38-57.
– VAYSSIÉRE P. & MIMEUR J., 1924.- Insectes et Myriapodes récoltés sur les plantes cultivées en Afrique occidentale.- Bulletin de la Société entomologique de France, 1924 : 188-192.
– VAYSSIÉRE P. & MIMEUR J., 1925.- Les Orthoptères nuisibles au cotonnier et autres cultures en Afrique Occidentale Française.- Agronomie coloniale, n° 89 : 203-224, pl. 1-3.
– VAYSSIÉRE P. & MIMEUR J., 1926.- Chap. I. Les Orthoptères nuisibles au cotonnier et autres cultures. p. 1-23, pl. 3-4.- in Les Insectes nuisibles au cotonnier en Afrique Occidentale Française, ix + 175 p., 20 pl., Larose, Paris.
– VAYSSIÉRE P. 1957 Les mauvaises herbes en Indo-Malaisie J. Agric. Trop. Bot. Appl. [JATBA] 4. 393-396. (190207722).
– VAYSSIÉRE, P. 1913. Note sur les coccides de l’Afrique occidentale. (In French). Annales du Service des Epiphyties 1 : 424-432. [Vayssi1913]
Notes : Lophococcus vuilleti n. sp., 4 other scale insects discussed ; adds list of 73 described coccids from area, with collection data for each.
[1] Leçon inaugurale faite au Muséum National d’Histoire Naturelle, le 21 février 1943.
[2] Agronomie malaise : notes de mission.
[3] 1ère réunion du Conseil scientifique du parc national de la Vanoise le 16 avril 1964.
[4] Colloque sur les parcs nationaux européens, du 15 au 17 juin 1970.
[5] Callon, Michel (1998) « Des différentes formes de démocratie technique  », Annales des Mines (Responsabilité et environnement) 9/Janvier 1998 : 63-73.