Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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TERRASSON François (1939-2006)

François Terrasson est né le 3 juillet 1939 à Saint-Bonnet-Tronçais, dans la ferme de sa mère. Son père, cheminot puis facteur, est fils d’agriculteurs. Son grand-père maternel va si bien l’initier à la lecture que le jeune François saura lire avant d’aller à l’école.

Il commence à apprendre les secrets de la nature, dans les mares, les étangs, les chemins creux et les ronces du bocage. Il est studieux et aime lire. Adolescent, il élève des chenilles dans sa chambre. Plus tard c’est l’époque des balades en vélo, sac au dos, pour aller dormir au grand air.

En juin 1955, il se présente au concours de l’Ecole normale d’instituteurs de Moulins, dans l’Allier, sans doute parce que sa grand-mère maternelle fut institutrice. Une fois admis, il y reste jusqu’en 1959. Il obtient son baccalauréat M’en 1957 et celui de sciences expérimentales en 1958.

Le petit garçon qui a grandi entre Bourbonnais dans l’Allier et Berry dans le Cher, entre bocage et forêt, n’a qu’un but : vivre dans la nature, vivre pour la nature ! Étudiant brillant, il lit en cachette des livres de sciences naturelles pendant les cours de pédagogie. Puis il assure dans l’Allier un temps d’enseignement primaire pour obtenir son certificat d’aptitude pédagogique en octobre 1959.

A la fin de son certificat, il s’inscrit en Propédeutique lettres à la faculté de Lyon et demande un poste de surveillant à l’École normale de Valence plutôt qu’un poste d’instituteur. L’important pour lui est d’être à l’université. Il obtient finalement ses certificats de licence avec brio. Il suit toutefois une unité de biologie végétale et animale, et une unité de géologie pendant une année à la faculté d’Orléans. Puis il élargit ses connaissances avec des certificats de licence préparés à Lyon, puis à Paris à la Sorbonne, dans des disciplines aussi variées que l’ethnologie, la préhistoire, la sociologie rurale, l’anthropologie structurale, l’archéologie ou la linguistique. En 1961, il épouse Marie-Claude Contoux dont il aura un fils, Pierre-Marie, en 1964.

En 1965, en tant qu’ethnologue, il part en Haute-Volta – actuellement le Burkina Faso – au service de l’ORSTOM. En octobre 1967, il est mis en disponibilité pour exercer les fonctions d’enquêteur adjoint au Service de conservation de la nature du Muséum national d’histoire naturelle.

Un électron libre au Muséum


Après un an passé à cette fonction, François Terrasson devient assistant stagiaire en 1968. Son dossier d’entrée est examiné par les professeurs Claude Delamarre-Deboutteville et Théodore Monod. Il réussit ainsi à rejoindre une institution prestigieuse dans le domaine qui lui est cher et dispose d’une liberté de travail quasi totale qu’il cherchera farouchement à préserver tout au long de sa carrière. Il osera mélanger les disciplines et transgresser les frontières entre sciences de la nature et sciences humaines dans un lieu plutôt fermé à la transdisciplinarité. Il gravit divers échelons : assistant titulaire en 1969, maître-assistant stagiaire en 1977, maître-assistant titulaire de seconde classe en 1979, maître-assistant de première classe en 1980, et enfin maître de conférences de première classe en 1984. François Terrasson fait son apprentissage en 1967-1969 en participant à l’inventaire biologique du Bassin parisien réalisé pour la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), et en 1970 à l’inventaire biologique du Pays basque pour la Mission interministérielle d’aménagement de la Côte Aquitaine. Puis il commence à se préoccuper de sujets délaissés : le bocage et le milieu naturel dans les régions agricoles ; il se spécialise ainsi en agroécologie, discipline qui vise à donner des fondements écologiques aux pratiques agricoles. Il va travailler sur les remembrements dont les ravages sont déjà visibles dans de nombreuses régions bocagères. En 1974, il entreprend une typologie des haies dans le bocage du Calvados, qui définit une échelle de cotation à l’usage des géomètres chargés des remembrements par la direction départementale de l’agriculture. À la demande du Conseil de l’Europe, il prolonge ensuite ce travail par une typologie sur les bocages européens, mettant en évidence les problèmes écologiques, agronomiques et socioculturels. Le Service de conservation de la nature est supprimé en octobre 1986. Après vingt-cinq ans d’existence, François Terrasson est intégré au laboratoire d’Évolution des systèmes naturels et modifiés, dirigé par le professeur Jean-Claude Lefeuvre. Dès lors, le conversationniste qui n’a jamais voulu passer de thèse d’Etat, entre en résistance face à un Muséum qu’il juge technocratique, qui adopte une langue dominante, l’anglais, impose des revues de référence internationale dans lesquelles il faut publier pour être bien évalué, favorise des sciences d’avant-garde (biologie moléculaire, génétique) et des travaux de pointe privilégiant la modélisation par rapport au terrain. De plus ses prises de position contre les honoraires des géomètres, Natura 2000, l’Office national des forêts ou la politique du ministère de l’Environnement, lui valent divers rappels à l’ordre, sans effet, car rien ne peut l’empêcher de s’exprimer librement. À la fin des années 1990, François Terrasson ne fait plus que passer au Muséum et ne s’investit plus dans l’institution, qu’il quitte en 2004, pour partir à la retraite.

Une dimension internationale

Dans le cadre du Muséum, il développe des activités internationales, devenant membre du comité directeur, représentant l’Europe, de la commission de planification de l’environnement de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Il travaille pour le Conseil de l’Europe, l’université des Nations Unies et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Il entre à la commission « parcs » de l’UICN, attiré par la perspective de voyager. C’est un des rares Français à apporter sa contribution à l’ouvrage publié par l’UICN en 1980, Stratégie mondiale de conservation : la conservation des ressources vivantes au service du développement durable. Enfin, en 1984, avec Gérard Sournia, il contribue à l’élaboration de la stratégie malgache de conservation au service du développement. Son expérience acquise au contact des milieux ruraux pour concilier écologie et agronomie l’incite à s’investir aussi à l’international sur ce thème de la relation entre nature et développement, et lui permet d’aller dans de nombreux pays.

Un livre marquant

En 1988, son œuvre maîtresse, La Peur de la nature, objet de cinq éditions, le fait connaître en France et dans les pays francophones, lui conférant une notoriété publique bien au-delà de ce que des publications anglo-saxonnes auraient pu éventuellement lui apporter. Tout est dit simplement : nous détruisons la nature parce que nous en avons peur. L’auteur nous emmène vers des contrées peu connues des naturalistes, aux frontières de la psychanalyse et de la psychologie. Comme l’inconscient ne parle pas le langage habituel, François Terrasson invite à découvrir celui des légendes, des mythes et des rêves. Impossible de sortir entièrement indemne de La Peur de la nature : ensuite, on décèle partout des signes anti-nature dans l’architecture, la forme des objets, les vêtements, les jardins et les espaces verts (gazon, thuyas), les réserves naturelles. Ils prennent une signification pour ceux qui les regardent, les ressentent et les interprètent.

Un pionnier de l’éco psychologie

Quand François Terrasson réalise l’importance des aspects psychologiques dans les rapports entre la nature et la société, il se tourne vers l’anthropologue Gregory Bateson (1904-1980), dont l’ouvrage fondamental, Vers une écologie de l’esprit, fait l’analyse de la communication et étudie une situation particulière dans le comportement des schizophrènes, la double contrainte, ou double bind. François Terrasson est le seul penseur de la nature à vulgariser ce concept de double contrainte parce que, selon lui, il fonde notre rapport à la nature. La nature est spontanée par essence et l’homme cherche à la maîtriser, d’où une relation schizophrénique. De là son constat très critique de la protection de la nature « La protection est interventionniste, tout le contraire du spontané. Donc la protection tue la nature, en ce sens qu’elle élimine l’ambiance de l’involontaire, essence du concept de nature. »

Mais il ne se contente pas de raisonnement, en bon scientifique il a besoin d’expérimenter. Afin de faire découvrir à chacun d’entre nous ses émotions vis-à-vis de la nature, il met au point des stages d’abandon nocturne qui consistent à laisser chaque participant, seul en forêt une nuit entière, puis à les rassembler pour une restitution de leurs sensations, suivie de travaux individuels ou en groupe sur la communication liée à la nature. Il attend de cette immersion nocturne en solitaire que chacun prenne conscience de ses émotions vraies. Son credo est que les raisons de la destruction de la nature sont nichées au plus profond de notre inconscient. Mais cette expérience n’a rien d’un stage de survie, ni d’une sortie naturaliste pour observer la faune, même si des stagiaires ont l’opportunité de le faire au cours de leur nuit. Comme le proclame un dépliant présentant un stage : « Le seul animal à observer, c’est soi-même ! »

Puisqu’il ne suffit pas de disposer de données scientifiques rigoureuses pour modifier le comportement des gens face à la nature, il travaille dans une perspective psychosociologique pour mieux comprendre les représentations mentales de ses contemporains dans la société, ce qui va faire sa spécificité et le faire connaître dans les milieux de la protection de la nature. Il aborde ainsi des domaines d’application variés : l’analyse psychosociologique, la conception de méthodes pédagogiques et de communication à destination d’acteurs de l’éducation, du tourisme, des loisirs, de l’administration, d’associations, de scientifiques et d’élus.

Un spécialiste de la communication sur la nature

Sur sa carte de visite, François Terrasson faisait figurer « Stratégies d’influence naturaliste ». Cette qualification est si originale que son auteur l’a fait enregistrer le 13 avril 2005 à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), avec comme produits ou services désignés tous les médias ou outils de communication et de diffusion existants. À la fois chercheur, écrivain, conférencier et conversationniste, il sert l’objectif qu’il considère comme majeur, l’influence naturaliste. Sa recherche lui permet de mieux comprendre les modèles culturels qui influencent l’inconscient des gens et d’essayer de les modifier le cas échéant. Son engagement au sein de l’association des Journalistes écrivains pour la nature et l’écologie lui sert à approcher le système médiatique, car il comprend très tôt l’influence des faiseurs d’opinion. Il donne ainsi de nombreux entretiens dans des journaux nationaux et régionaux. Sa boulimie de conférences – dans ce domaine, ses agendas, parsemés et griffonnés d’horaires de train témoignent de son activité débordante – est un moyen pour faire passer ses messages à un public très diversifié et à tester des techniques de communication. Son langage imagé, humoristique et plaisant sert bien son discours, à l’image de certains titres d’articles ou de chapitres de ses livres, repris pour certains dans cet ouvrage : Les aigriculteurs, L’orchidobsession, Tepamaso consultants, Aux larmes, citoyens, Les écotourisques, L’Office national des fourrés, Les Austra-Terrestres, ou Johannesbroufe. Son imagination le conduit à tourner la réalité en dérision, comme avec la « DINGUE, la Direction Internationale de la Nature et de sa Gestion par Unités Écologiques », qui figure dans un texte où il imagine des scénarios pour le futur.

Lorsqu’il prend sa retraite en 2004, la maladie ne lui laissera pas le temps d’écrire de nouveaux scénarios. Un cancer l’emporte le 20 janvier 2006.

LIVRES

 La Peur de la nature. Au plus profond de notre inconscient, les vraies causes de la destruction de la nature, Sang de la Terre, 1988, 2e édition, 1991 ; 3e édition, 1997 ; 4e édition, 2001 ; 5e édition, 2007.

 La Civilisation anti-nature, Éditions du Rocher, 1994, 2e édition, Sang de la Terre, 2008.

 En finir avec la nature, Éditions du Rocher, 2002, 2e édition, Sang de la Terre, 2008.

 Un combat pour la nature, Sang de la Terre, 2011.

 Loiseau J-M., Terrasson F. & Trochel Y, Le Paysage urbain, Sang de la Terre, 1993.

A LIRE AUSSI : François Terrasson : un combat pour la nature. Pour une écologie de l’homme. Paris, Sang de la Terre, 2011.


Par Jean-Claude Génot
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