Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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PECCEI Aurelio (1908-1984)

Né le 4 juillet 1908 à Turin dans une famille socialiste de la classe moyenne, Aurelio Peccei développe durant sa jeunesse un fort sentiment antifasciste et un intérêt certain pour l’expérience économique et sociale menée en Union Soviétique, sans pour autant devenir marxiste. Pour échapper au climat provincial de la fin des années 1920, il étudie un temps à Paris et il effectue un voyage en URSS grâce à une bourse d’études. Il poursuit ses études à Turin où il obtient finalement son diplôme en 1930 avec une thèse sur la Nouvelle Politique Economique de Lénine.

Collaborateur de la « division affaires spéciales » de la Fiat depuis ses premières années à l’université, il convainc en 1935 la direction de l’entreprise de l’envoyer en Chine dans le cadre d’un partenariat italo-chinois pour la production d’avions militaires. Il y reste jusqu’au milieu de l’année 1939. À son retour en Italie, il participe à la Résistance dans l’organisation « Giustizia e Libertà » (GL) en effectuant des missions en Italie et à l’étranger sous le couvert de ses fonctions dans l’entreprise jusqu’à son arrestation en 1944 par les fascistes. Il passe onze mois en prison, torturé et menacé de mort. A la Libération il est nommé par le Comité de Libération Nationale dans le groupe des quatre commissaires extraordinaires qui doivent gérer la Fiat à la place de Vittorio Valletta, administrateur délégué, accusé de collaborationnisme.

Une carrière chez Fiat

Au retour de Vittorio Valletta en 1946, Aurelio Peccei est nommé responsable des divisions machines agricoles, matériel roulant et aéronautique. Grâce à cette fonction, il est amené à effectuer de nombreuses missions dans le monde entier. Mais son travail à Turin, près de la maison mère, n’est pas apprécié par de nombreux collègues qui ne lui pardonnent pas son militantisme antifasciste, son esprit d’indépendance et sa réputation de brillant manageur. En 1949, il réussit à obtenir de Vittorio Valetta la direction de la Fiat en Amérique latine. Il y transforme la branche commerciale en branche de production, avec un vaste réseau d’installations qui contribue à renforcer la présence de la firme turinoise dans la zone. Son approche, particulièrement attentive aux possibilités de développement local, le porte à réaliser une société intercontinentale de gestion et d’investissement, l’ADELA, destinée à favoriser, sous forme coopérative, les investissements productifs en Amérique latine. Avec le souci constant de développement du Tiers Monde, il crée, dans la deuxième moitié des années 1950, un consortium innovant et opportun en matière de consultation et de projet, « Italconsult ».

Vers la fin des années 1950, Peccei se considère - tout en restant en pleine activité professionnelle – comme un homme ayant réussi, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, et il commence à réfléchir à la possibilité de se rendre utile à des « fins plus générales ». Plus tard, il écrira : « il me semblait que l’Europe, mieux que tout autre continent, pût fournir une atmosphère apte à la réflexion sur les besoins et sur les perspectives humaines dont je percevais l’émergence. C’est pourquoi, je m’établis à Rome en me préparant à une nouvelle phase de ma vie. J’avais psychologiquement parcouru un cercle presque complet, en revenant à quelques-uns des idéaux et espoirs de ma jeunesse. »

Un penseur des problématiques mondiales, un des fondateurs du « Club de Rome »

Sa réflexion sur les perspectives mondiales commence dès 1959 en se concentrant sur les problématiques développement/sous-développement, qui faisaient à l’époque l’objet d’un vif débat mondial. Durant ces années, Peccei se limite principalement à étudier et à présenter ses idées lors de rencontres publiques. Le virage arrive en 1967 quand le texte d’une de ses conférences, tenue deux ans auparavant à Buenos Aires, passe fortuitement entre les mains de quelques spécialistes et dirigeants d’organismes internationaux dont Alexander King (1909-2007), directeur général pour l’éducation et la science à l’OCDE.

Après une rencontre entre Alexander King et Aurelio Peccei, il est décidé de créer un groupe informel de recherche et de proposition sur les problèmes les plus urgents sur l’avenir de l’humanité, groupe qui sera baptisé « Club de Rome » en référence à la ville où s’est tenue en avril 1968 la première réunion à laquelle participe notamment Bertrand de Jouvenel (1903-1987) considéré par Aurelio Peccei comme le plus important de ses inspirateurs. Le Club de Rome, constitué de quelques promoteurs (Aurelio Peccei, Alexander King, Erich Jantsch, Hugo Thiemann et Dennis Gabor) se considère comme une unité d’étude sur la « problématique globale » et comme une source d’incitation à l’action pour les gouvernements, les centres de recherche et l’opinion publique mondiale. Il apparaît vite que le principal instrument d’intervention doit être la communication, initialement entendue comme la recherche de contacts directs avec des hommes politiques, entrepreneurs et spécialistes. Ensuite, il s’agit surtout de produire des études théoriquement ambitieuses mais tournées vers le grand public pour atteindre une diffusion mondiale.

« Halte à la croissance ? »

De cette approche, naît l’idée de produire un rapport qui mette sous une forme structurée, scientifiquement rigoureuse et en même temps aisément accessible, les réflexions du groupe autour de la « problématique mondiale » et de ses possibles solutions. C’est ainsi qu’est rédigée « The Limits to Growth » (qui sera traduit par « Halte à la croissance ? » dans la publication française) par un groupe de collaborateurs de Jay Forrester, inventeur de la dynamique des systèmes et dépendant du « Massachussets Institute of Technology ». Clair, accessible, rigoureux, bien illustré et lancé au niveau mondial grâce à une judicieuse utilisation des media de communication de masse, ce livre est publié au printemps 1972. Le succès énorme qu’il connaît déclenche un vif débat politique et théorique appelé à durer.

L’hypothèse retenue dans l’ouvrage est effectivement de grand impact : sur la base de la projection de l’évolution de la population mondiale actuelle, de l’industrialisation, de la pollution, de la production de la nourriture et de l’appauvrissement des ressources sur une période de 80 ans, elle prévoit que l’on peut arriver à un effondrement généralisé de l’économie et de la population mondiale. Devant cette perspective, le rapport propose d’intervenir sur le cours des cinq variables examinées à travers une décision de modération de la croissance démographique et économique [1] .

En 1972, est enfin réalisé un projet international ambitieux imaginé par Aurelio Peccei six ans auparavant avec la création de l’ « Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués » (IIASA), premier organisme technique pour l’étude des problèmes mondiaux, promu conjointement par les gouvernements du Pacte Atlantique (États-Unis, Canada, Japon, Allemagne fédérale, Grande-Bretagne, Canada, Italie et France) et par les gouvernements du Pacte de Varsovie (Union Soviétique, RDA, Pologne et Bulgarie).

Mais c’est surtout grâce au succès du livre « Limits to Growth » que le Club de Rome devient un interlocuteur influent auprès des représentants politiques, administrateurs, spécialistes et associations dans le monde entier. Tout en continuant son activité de dirigeant, Aurelio Peccei s’applique – aux côtés d’Alexander King - à concentrer les activités du Club de Rome sur la nécessité d’intervenir le plus tôt et le plus efficacement possible sur les points les plus délicats de la crise mondiale.

Un infatigable ambassadeur des thèses du Club de Rome jusqu’à sa mort

A cette fin, entre 1972 et 1984, année de sa mort soudaine, Aurelio Peccei développe une intense activité orientée dans quatre directions. La première est celle de la recherche. Après le rapport sur les « Limits to Growth », Aurelio Peccei commande une vingtaine de rapports et études destinés, d’une part, à corriger et à approfondir les analyses et les propositions du premier rapport et, d’autre part, à explorer d’autres sujets tels que les possibles modalités et objectifs d’un nouvel ordre mondial, l’énergie, les ressources alimentaires, l’éducation et la formation, la révolution informatique et la coopération Nord-Sud. La réalisation de ces études et les débats qu’elles suscitent constituent autant d’occasions pour impliquer de nouvelles personnalités dans l’activité du Club.

La seconde direction est celle des « sommets » internationaux avec les chefs d’Etat et les représentants de gouvernements du monde entier avec comme point de départ celui qui se tient en février 1974 à Salzburg. Y participent des représentants de haut niveau des gouvernements de dix pays dont l’Autriche, la Suède, le Canada, les Pays-Bas, le Mexique, l’Algérie et le Pakistan. Cependant, ces sommets ne sont que les moments forts d’une vaste série de rencontres internationales qui comprennent aussi les réunions périodiques du Club de Rome et les nombreux événements publics dans lesquels Aurelio Peccei et d’autres représentants du Club sont appelés à participer.

La troisième direction est celle des consultations, l’avis des membres du bureau du Club étant souvent demandé sur divers sujets par les hommes politiques et administrateurs de différents pays du monde.

La dernière direction est celle de la sensibilisation de l’opinion publique et de l’éducation, un secteur sur lequel Aurelio Peccei concentre ses dernières forces. Citons entre autres, la promotion du rapport de 1979 sous la direction de James W. Botkin, Mahdi Elmandjra et Mircea Malitza, publié en français l’année suivante sous le titre « On ne finit pas d’apprendre, le fossé humain à combler », la création du « Forum Humanum » pour organiser des échanges internationaux entre des jeunes sur les sujets du futur et encourager leur participation à un grand nombre d’initiatives localeset de débats dans le monde entier.

Grâce à cette activité, Aurelio Peccei, infatigable, est coopté, au fur et à mesure de leur constitution, à la direction de groupes et institutions dans lesquels il apporte sa contribution active et qualifiée : « l’ International Ocean Institute », « l’International Federation of Institutes for Advanced Studies », le « Population Institute », le « World Wildlife Fund », les « Friends of the Earth », la « Foundation for International Entraînement of Third World Countries », « Business International », l’ « Internationnal Management Institute », « l’UNESCO’s Wise Men’s Group », « l’European Management Forum of Davos », « l’ International Institute for Environment and Development », « l’ Atlantic Institute for International Affairs », le « Committee for Research and Architecture » et la « Society for International Development ».

Souffrant d’une pathologie douloureuse à la hanche, Aurelio Peccei ne ralentit pas pour autant ses engagements italiens et internationaux jusqu’à son opération en urgence d’une tumeur à l’intestin dans les premiers jours de mars 1984. L’opération réussit parfaitement et il se remet au travail dès le lendemain sur son lit de l’hôpital, en dictant à sa secrétaire un long et important texte intitulé « Un agenda pour la fin du siècle », portant sur le bilan de l’activité du Club de Rome. Ce document sera considéré par la suite comme une sorte de testament spirituel. Douze heures après, le 4 mars 1984, il meurt d’un infarctus à Rome.

Sources

 Fra etica, economia e ambiente. Aurelio Peccei : un protagonista del Novecento, edité par Adriana Castagnoli, Torino, SEB, 2009.

 Moll Peter H., From Scarcity to Sustainability : Futures Studies and the Environment : The Role of the Club of Rome, Bern, Peter Lang. 1991.

 Pauli Gunter A., Crusader for the Future : A Portrait of Aurelio Peccei, Founder of the Club of Rome, Oxford, Pergamon Press, 1987.
Peccei Aurelio,La qualitè humaine, Paris, Stock, 1975.

 Piccioni Luigi, Fourty Years Later. The Reception of the Limits to Growth in Italy, 1971-1974, Brescia, Fondazione Luigi Micheletti, 2012


Par Luigi Piccioni


[1Les variables utilisées pour l’analyse étaient la population, les ressources alimentaires, les ressources non renouvelables, l’industrialisation et la pollution


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