Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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MANCHE André (1936 – 2007)

André Manche est né le 18 mars 1936 à Meaux (Seine-et-Marne). Son père était typographe et sa mère commerçante puis mère au foyer. Il était l’aîné d’une grande fratrie de cinq sœurs et quatre frères et sa famille l’a élevé dans une convivialité généreuse et ouverte au sens du dépassement de soi. Très jeune il s’est intéressé aux métiers de la forêt.
A défaut de pouvoir bénéficier d’une formation supérieure initiale, il a choisi l’école primaire de sylviculture des Barres à Nogent-sur-Vernisson dans le Loiret lui permettant d’être nommé auxiliaire technique forestier à la station de recherches et expériences forestières à Nancy de 1952 à 1954, puis aide technique à la pépinière de l’école forestière de 1954 à 1957.

L’ascension exceptionnelle d’un homme ouvert et militant

Sa rencontre à l’âge de 18 ans avec Colette Blanc fut décisive pour son avenir affectif et professionnel. C’est ensemble qu’ils préparèrent leur baccalauréat, lui le faisant par correspondance, et ils le réussirent chacun, lui en 1957 et elle en 1958, ce qui les engagea à se marier tout de suite après et à s’établir à Neuves-Maisons. Elle opta pour le métier d’institutrice et il choisit celui d’agent technique des eaux et forêts, dès 1960, à la suite de son service militaire de 28 mois qu’il acheva comme sous-lieutenant dans l’armée de l’air à Contrexéville dans les Vosges.

Il commença alors un parcours professionnel dans le monde forestier aussi rare que prometteur. Tandis que l’administration des eaux et forêts lui confiait sa première responsabilité territoriale comme chef de triage à Viterne, en Meurthe-et-Moselle, en 1960-61, il prépara le concours interne pour entrer à l’école nationale des ingénieurs des travaux des eaux et forêts. A 27 ans, en 1963, l’agent technique était devenu ingénieur et il exerça jusqu’en 1965 les fonctions de chef de cantonnement à l’inspection de Saint-Avold en Moselle. Deux enfants, Eric né en 1960 et Pascale en 1964, seront élevés dans cet esprit de curiosité et cette envie d’apprendre tant dans de longues études que dans les multiples expériences de terrain favorisées par les sorties de week-end, les loisirs éducatifs et les voyages.

Avec le même dynamisme qui l’avait conduit à devenir ingénieur des travaux, il se met au travail pour préparer le concours interne lui permettant d’intégrer en 1965 l’école nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF), et chaque week-end, il retrouve à Chavigny sa femme, institutrice à Nancy, et ses enfants. Devenu IGREF, il est affecté en 1967 à Agen à la direction départementale de l’agriculture du Lot-et-Garonne où il dirige successivement le troisième service chargé de l’agriculture, puis le premier service chargé de la forêt, avant de devenir l’adjoint du directeur de 1970 à 1972.

De la forêt à la plongée sous-marine, le dynamisme d’un directeur de parc national

La participation à partir de 1973 à la mission interministérielle de l’aménagement et de la protection de l’espace naturel méditerranéen dirigée par l’amiral Storelli représentera un tournant décisif dans l’engagement lucide d’André Manche au service de la protection de l’environnement dont le ministère venait d’être créé. C’est en effet dans le concours qu’il donnera à cette mission préfigurant les directives et la loi Littoral qu’il prendra la mesure des questions d’aménagement à leur véritable échelle et développera sa passion marine pour la Méditerranée. Appréciant avec les instruments d’analyse utiles l’urbanisation galopante de la côte méditerranéenne, les problèmes connexes de gestion de l’eau et de l’agriculture, il perçoit toutes les alertes qu’une orientation écologique commence à éclairer et il s’engage résolument en ce sens. Il s’installe avec sa famille dans les Bouches-du-Rhône, à La Ciotat qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort.

Sa connaissance ainsi approfondie des ensembles naturels méditerranéens, du littoral à l’arrière-pays, et sa passion pour la plongée sous-marine l’ont conduit à accepter avec enthousiasme en 1979 la fonction de directeur du seul parc national maritime existant alors, le parc national de Port-Cros, également chargé du domaine acquis par l’Etat, sous l’impulsion du président Georges Pompidou sur l’île de Porquerolles, où venait d’être aussi créé et confié au parc le premier conservatoire botanique national méditerranéen.

A la mission régulière de protection des milieux naturels, dans leurs dimensions terrestres, forestière sur les deux îles d’Hyères, agricole et conservatoire à Porquerolles, André Manche ajouta le souci permanent, eu égard à la fréquentation touristique croissante des plaisanciers et des plongeurs, de protéger non seulement le domaine public maritime de Port-Cros avec son port géré par le parc national, mais le milieu marin autour de cette île superbe, en engageant les contacts avec toutes les associations d’usagers et en utilisant les réglementations existantes mises en œuvre sous l’autorité du préfet maritime de Toulon. Qu’il s’agisse de la protection des herbiers de posidonies ou des mérous, de l’alerte sur l’attaque de la végétation littorale par les détergents rejetés en mer et transportés par les vents, il est toujours sur le front.

Ce travail mobilisait deux équipes insulaires sous l’égide du siège hyérois du parc, mais le directeur entendait joindre de nombreuses initiatives innovantes à cette administration. Il débordait d’idées et de projets, au risque parfois de se disperser et d’en négliger l’intendance. Il souhaita que le parc national s’engage dans tous les efforts de gestion plus écologique des déchets sur Port-Cros, jusque-là enfumé par un mauvais incinérateur, de l’eau pour laquelle il associa le parc à la création d’une installation de dessalement de l’eau de mer par osmose inverse et surtout d’une lagune sur ses terrains pour le traitement tertiaire des eaux usées de Porquerolles. Il voulut même initier un projet de gazogène produisant de l’électricité à partir du bois récolté à Porquerolles, mais régularité de l’approvisionnement, fonctionnement du prototype et difficultés des relations avec EDF eurent raison de cette tentative.

Simultanément, André Manche travailla avec ferveur au rayonnement du parc national en favorisant le fonctionnement d’un comité scientifique terrestre et marin auteur d’études, de recherches et de publications remarquées, en s’ouvrant à l’international aussi bien pour des missions de protection du phoque-moine au large du Maroc que pour des collections d’espèces du Conservatoire botanique avec la précieuse collaboration de Louis Olivier. Mais il avait également anticipé sur la nécessité d’initier ce que la loi de 2006 appellera une « aire d’adhésion » sur le littoral du seul parc français alors dépourvu de « zone périphérique », en commençant par la gestion des terrains acquis par le conservatoire du littoral sur le cap Lardier et en militant pour l’affectation publique des terrains disponibles de la presqu’île de Giens.

Dans toutes les missions de cette décennie donnée à l’environnement des îles d’Hyères (1979-1988), André Manche garde un sens exceptionnel du premier contact et une ferveur inentamée. Il aura toujours la volonté de rester au plus près de la jeunesse dont il favorisera l’accueil constant à la fois comme auxiliaires d’été ou objecteurs de conscience, comme élèves des classes de nature transplantées, comme visiteurs du sentier sous-marin, comme membres des chantiers de jeunesse, comme stagiaires des grandes écoles ou travailleurs d’utilité collective ou d’intérêt général. Avec le concours d’un adjoint nommé à partir de 1980, Eric Binet, il lancera une politique dynamique de restauration des forts insulaires appartenant à l’Etat afin de favoriser cet accueil, d’y présenter des expositions de qualité, par exemple d’archéologie sous-marine, et il donnera un fort élan à une politique d’information avec l’appui éditorial de fiches pédagogiques et de cahiers culturels.

Un engagement inaltérable en faveur de la protection de l’environnement

A partir de 1988, André Manche se consacrera à des missions nationales sans jamais abandonner son militantisme local en faveur de la protection de l’environnement. Après que le ministère de la Culture et de la Communication lui a confié jusqu’en 1992 la fonction de conservateur du patrimoine forestier des parcs et jardins des monuments historiques et des palais nationaux à Versailles, il suit auprès du directeur de la nature et des paysages du ministère chargé de l’environnement certains dossiers délicats de préservation patrimoniale, tel celui de la plaine des Maures menacée par l’implantation d’une piste d’essais automobiles.

Nommé ingénieur général du GREF en 1996, il rejoint le conseil général du génie rural, des eaux et des forêts, puis prend sa retraite la même année. Dès lors, s’ouvre une dernière décennie d’engagement associatif persévérant en faveur de la préservation du patrimoine naturel local et régional. Administrateur de l’union départementale Vie et Nature des Bouches-du-Rhône et de l’association Forêts méditerranéennes, il est également membre du comité économique et social de la région Provence – Alpes – Côte-d’Azur et c’est au sein du groupe « Prospective » que cet esprit toujours tourné vers le meilleur avenir fait valoir ses convictions quant à la préservation de la nature, l’écologie et l’espace rural.

En tant que citoyen de la Ciotat ou « ciotaden », il œuvra jusqu’à ses derniers instants pour que le projet de parc national des Calanques intègre les sites classés terrestres et maritimes ciotadens. Deux mois avant sa mort, il disait le 16 mars 2007 : « Depuis plus de 30 ans (1973) j’ai travaillé sur les problèmes écologiques méditerranéens terrestres ou marins… J’ai accompagné sur le site de La Ciotat et dans les Calanques de Marseille de très nombreux visiteurs étrangers des parcs nationaux américains, canadiens, québécois, italiens ; massivement ils ont regretté que la France n’ait pas donné à cet ensemble le statut de parc national qui est la seule vraie reconnaissance internationale d’un site exceptionnel ».

Aussi, en décembre 2007, sous le titre « Nous sommes tous des enfants d’André Manche », Patrick Pappola, fondateur du collectif La Ciotat cœur du Parc le remercie ainsi : « Notre groupe a tenu, unanimement, à offrir à sa mémoire cet hommage posthume : lorsque ce parc sera enfin créé, puissent les enfants de La Ciotat et d’ailleurs qui en profiteront, se souvenir de ce qu’ils doivent à ce combat d’une vie qui lui fut dédié ».

Cette ascension d’une vie commençant comme ouvrier forestier et accédant au sommet de sa hiérarchie s’est accompagnée d’une jeunesse d’esprit, d’une curiosité généreuse et, avec un sens aigu des risques à venir, d’un engagement inlassable en faveur de la vie humaine et de son environnement naturel. Du parc national de Port-Cros et Porquerolles jusqu’au futur parc national des Calanques, beaucoup de sites méditerranéens doivent à André Manche d’avoir conservé leurs richesses naturelles et leur beauté.


Par Bernard Glass ,Eric Binet
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