C’est d’abord une profonde transformation des campagnes et de l’agriculture permise et encouragée financièrement par le plan Marshall à partir de 1948, puis, à partir de 1962, par la politique agricole commune (PAC). L’augmentation de la productivité de l’agriculture qui sera recherchée, et obtenue, par la mise en œuvre des lois d’orientation agricole de 1960 et 1962, laissera plus tard, revers de la médaille, une forte empreinte négative dans le paysage rural et les équilibres écologiques, à la suite des travaux connexes aux restructurations foncières (remembrements) rendus nécessaires par la mécanisation et l’intensification culturale des systèmes de production.
Bien que la modernisation agricole ait commencé au XVIIIe siècle et se soit poursuivie au XIXe siècle et après la 1re Guerre mondiale, il faut considérer que celle qui se déroule après la Seconde Guerre mondiale est sans commune mesure avec les précédentes.
Dans un article sur la modernisation de l’agriculture daté de 1953, Joseph Klatzmann, professeur à l’Institut National Paris-Grignon, cite, pour les travaux à réaliser, les objectifs chiffrés de la Commission de modernisation de l’équipement rural du Commissariat Général du Plan établis en 1946 : 10 millions d’hectares à remembrer, 1 600 000 hectares à assainir, 3 millions d’hectares à drainer, 250 000 hectares à irriguer, 100 000 kilomètres de cours d’eau à aménager et 500 000 kilomètres de chemin à ouvrir.
Au 1er octobre 1952, 1 350 000 hectares avaient été remembrés. Ce chiffre augmentera régulièrement jusqu’à la fin des années 1960, le pic étant atteint en 1969 avec 6 500 000 hectares remembrés cumulés. En 2010, dans une étude portant sur « Soixante années de remembrement  », Marc-André Philippe et Nadine Polombo ont chiffré la surface totale remembrée à 17 000 000 d’hectares en 2006, soit plus de la moitié des surfaces agricoles, situés principalement dans le Nord et l’Ouest de la France, ce chiffre incluant les remembrements consécutifs à la réalisation des infrastructures routières et ferroviaires qui sont surtout construites à partir des années 1970.
On le voit, l’impact de ces travaux était potentiellement considérable sur l’ensemble de la trame écologique du territoire. On estime qu’ils ont fait disparaître 750 000 kilomètres de haies et plusieurs centaines de milliers d’hectares de zones humides. En réaction à leur assèchement et à leur drainage, qui inquiètent et mobilisent les défenseurs de la nature et de la sauvagine, le Bureau MAR (pour la racine commune aux mots désignant les MARécages en français, MARshes en anglais, MARismas en espagnol et MARemma en italien) est créé en 1962, à l’instigation de Luc Hoffmann (1923-2016), dans le cadre de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). En France, son action est animée par Michel Brosselin (1936-1980) puis par la Société nationale de protection de la nature (SNPN) [1] quand celui-ci en devient le directeur scientifique en 1970. Relayé dans plusieurs pays, conjugué à celle d’organisations cynégétiques, le lobbying du bureau MAR aboutira à l’élaboration et à la signature en 1971, dans la ville iranienne de Ramsar, de la convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau.
Cette modernisation conduite à marche forcée est, notamment, décrite et soutenue au nom du Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA) en 1963 par Michel Debatisse (1929-1997) dans sa Révolution silencieuse. Au sein du monde agricole, les réactions et oppositions à cette orientation sont peu nombreuses et surtout inaudibles, ou presque, tant le mouvement de modernisation est puissant. Cependant, dès 1961, des partisans d’une agriculture alternative créent
Les lois sur la modernisation de l’agriculture ont notamment pour effet d’accélérer fortement l’exode rural, ce qui provoque un dépeuplement accéléré des campagnes décrit en 1967 dans La fin des paysans par Henri Mandras (1927-2003). Celui-ci est assumé et encouragé pour fournir de la main d’œuvre aux secteurs industriel et tertiaire en plein développement. À partir de 1968, la mise en œuvre au sein de la PAC de certaines des préconisations contenues dans le rapport du commissaire européen à l’agriculture Sicco Mansholt (1908-1995) et dans celui de Georges Vedel (1910-2002) « Perspectives à long terme de l’agriculture française  » allant dans le même sens, accélèreront encore ce mouvement en encourageant financièrement les agriculteurs à quitter leur ferme et à favoriser une redistribution de leurs terres ainsi rendues disponibles. L’objectif était donc d’obtenir une concentration des exploitations agricoles pour les rendre compétitives et capables de s’aligner sur les prix des marchés mondiaux. Ces mesures sociales brutales, en remettant en cause les valeurs inspiratrices du projet de modernisation soutenu au départ par les organisations syndicales agricoles cherchant à concilier les exigences économiques et le développement de l’Homme furent contestées par la profession. Selon l’inspecteur général de l’environnement Émile Leynaud (1927-1982), cette réforme en profondeur de l’agriculture « essaiera de concilier l’inconciliable, à savoir une agriculture d’entreprise greffée sur une société paysannière et respectant le principe de l’exploitation familiale  ».
Cette fuite de la population des campagnes vers les villes sera freinée un temps, par des politiques adaptées du ministère de l’Agriculture dans les zones d’action rurale définies en application de la loi de 1960 et, à partir de 1967, par des dispositifs publics de rénovation rurale et de soutien à l’agriculture de montagne. Elle sera aussi un peu contrecarrée par les mouvements de jeunes urbains aux aspiration libertaires et écologiques d’après 1968, qui tentent de s’installer dans les espaces ruraux délaissés par les paysans. La célèbre chanson « La montagne  » de Jean Ferrat (1930-2010), témoigne, pour toute une génération, de cette profonde transformation économique, sociale et environnementale du pays.
Une autre modalité de l’intensification agricole réside dans le développement de l’usage des engrais minéraux, des herbicides et des produits phytosanitaires de synthèse. Les conséquences environnementales sur l’écologie des écosystèmes et sur la santé humaine de ces nouvelles pratiques qui se généralisent, ne sont pas, elles, immédiatement et visuellement perceptibles bien qu’elles aient été dénoncées, notamment, par la biologiste américaine Rachel Carson (1907-1964) dans son fameux ouvrage Silent Spring qu’elle fait paraître aux États-Unis en 1962 et qui sera traduit en France en 1968, sous le titre de Printemps silencieux, avec une préface du professeur du Muséum Roger Heim (1900-1979). C’est à ce moment-là que des scientifiques déplorent dans la revue Science Progrès La Nature, le faible soutien apporté aux recherches sur la lutte biologique contre les insectes nuisibles en agriculture.
Les difficultés que nous rencontrons dans la gestion et la résorption des externalités environnementales négatives que génère l’agriculture aujourd’hui, tiennent pour partie au caractère productiviste et au modèle économique qui lui a été donné depuis les années 1960, bien que d’autres causes puissent être invoquées, comme la pression exercée par les consommateurs et les grandes chaînes de distribution des produits d’alimentation engagés dans une course aux prix les plus bas, poussant les exploitants agricoles à intensifier leur activité et être de plus en plus compétitifs pour obtenir des avantages concurrentiels.
(*) Emprunté au titre du livre de Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun et Yves Dupont. La Découverte, Paris, 1989.