Émile Leynaud est né le 15 avril 1927 à Villefranche-sur-Saône. Il passe sa jeunesse à Marseille o๠ses parents - sa mère, fonctionnaire des Impôts, et son père, agent de la SNCF - l’encouragent à poursuivre de brillantes études jusqu’à l’École nationale de la France d’Outre-Mer. Son frère Charles, de deux ans son cadet, opte pour une carrière commerciale.
Diplômé « administrateur breveté de la France d’Outre-Mer  » et titulaire du doctorat d’ethnologie de l’École pratique des hautes études, il débute sa carrière, au titre du ministère de la France d’Outre-Mer, dans le territoire d’Oubangui-Chari en Afrique Équatoriale Française, devenue la République Centrafricaine en conformité de la Constitution de 1958. De 1950 à 1959, il assume notamment les responsabilités de chef de district de Bria et d’Obo, ce qui lui vaut de vivre dans la brousse avec son épouse Maria et leurs quatre enfants, Paul, Maxime, Brigitte et Anne, nés durant cet épisode africain o๠se consolide sa vie en famille et se forge sa conviction sur la forte solidarité entre l’homme et son territoire. Très intéressé par la culture locale, il assure pendant cette période des relations suivies avec le Musée de l’Homme, en particulier dans le domaine des instruments de musique.
De retour en Métropole en 1960, après l’accession à l’indépendance de la République Centrafricaine, il se consacre à la politique émergente de l’aménagement rural, d’abord comme administrateur civil détaché au Bureau pour le développement de la production agricole (BDPA) puis affecté de 1967 à 1974 à l’Atelier central d’aménagement rural sous l’égide du Ministère de l‘Agriculture. Là , son tempérament novateur l’amène à développer une nouvelle conception de parc national délimité dans une zone naturelle d’intérêt majeur et habitée de façon permanente ; cette zone naturelle serait dotée d’un statut combinant les dispositions prévues par la loi de 1960 créant les Parcs nationaux français et celles définies pour les Parcs naturels régionaux selon le décret de 1967.
Les travaux d’Émile Leynaud trouvent un champ d’application exemplaire lorsqu’il est chargé de la direction du parc national des Cévennes de 1974 à 1979. Les qualités de l’homme d’action et de l’homme de réflexion, animé du souci constant d’inscrire la dimension culturelle et humaine dans la démarche de protection, donnent une formidable impulsion à ce parc qui, de ce fait, devient une référence nationale et internationale d’aménagement du territoire et de préservation du patrimoine naturel et culturel. Sa profonde implication dans ses fonctions directoriales ne lui fait pas oublier sa vocation première orientée vers les « hommes d’Outre-Mer  » : c’est ainsi qu’il organise l’accueil en Cévennes d’une centaine de réfugiés “Hmongs†, victimes de la guerre du Vietnam.
En 1978, Émile Leynaud est nommé Inspecteur général de l’environnement, fonction nouvellement instituée. Il est alors chargé d’une mission relative à la politique des parcs nationaux, des parcs naturels régionaux et, d’une manière générale, de la protection de la nature. Outre les relations interministérielles qu’il assure efficacement avec les ministères les plus concernés, dont ceux de l’Équipement, de l’Agriculture et des Affaires culturelles, il anime avec talent et conviction les réflexions et les activités « inter-parcs nationaux  ».
Dans ce dernier domaine, il contribue à l’amélioration du système français des parcs nationaux en renforçant leur concertation et en harmonisant leurs prestations. Il contribue aussi à la promotion internationale des parcs en participant activement aux instances concernées, telles que le Conseil de l’Europe et l’Union internationale de la Conservation de la Nature, et en effectuant de nombreuses missions à l’étranger. En particulier, il se rend au Liban en 1980 pour aider ce pays à promouvoir, malgré le contexte de guerre civile, une politique de conservation patrimoniale et à y inscrire deux parcs nationaux.
Sa dernière mission d’échanges d’expériences en Tchécoslovaquie lui a été fatale. Une crise cardiaque le terrasse le 27 mai 1982, six semaines après son 55ème anniversaire o๠il a été fait Chevalier de la Légion d’Honneur. Deux collègues, directeurs de parc national - Claude Pairaudeau pour la Vanoise et Bernard Glass pour les Pyrénées - l’assistent dans ses derniers instants.
Deux témoignages méritent d’être évoqués pour compléter et confirmer les remarquables contributions d’Émile Leynaud à la cause du parc national des Cévennes et à celle des parcs nationaux de France.
D’abord celui de Michel Monod, Cévenol d’origine, président du conseil d’administration du parc et maire de Sainte-Croix-Vallée-Française lors des obsèques d’Émile Leynaud en juin 1982 : « Il est difficile d’imaginer un homme plus riche en imagination : pour dix idées concrétisées, il en lançait mille. Impatient dans l’immédiat - combien de fois l’avons-nous vu tempêter contre les lenteurs administratives, les négligences des élus, les occasions perdues -, il avait par contre une patience infinie pour relancer à long terme les propositions nouvelles. Pessimiste par lucidité devant certaines médiocrités du jour, il était par contre chargé d’espérance par sa foi en la maîtrise de l’homme sur son destin ; déprimé par surmenage - je l’ai vu au travail, pà¢le, transpirant, incapable d’articuler deux mots et refusant d’obéir à nos suppliques de repos -, il avait un courage d’airain lorsqu’il estimait que la santé du pays devait prévaloir sur la sienne. Cet homme, certainement épuisé, avait une vitalité qui le transfigurait dès qu’il s’agissait des autres et de l’avenir. Là est sans doute le secret de la complicité d’Émile Leynaud avec les Cévennes. Ici, il n’est que labeur, sueur, effort et peine dans le même temps que le rendement économique est bien moindre qu’ailleurs. Ici, l’argent n’est pas conçu comme moteur de l’histoire, ni comme pivot social. Ici, nous ne connaissons comme monnaie d’échange qu’une certaine qualité de la vie. C’est sans doute ce qu’Émile Leynaud avait compris et aimé et voulu partager comme l’esquisse d’une philosophie du futur...  »
Puis l’hommage rendu, sous la plume de Jean-Marie Petit, un collaborateur d’Émile Leynaud au parc national des Cévennes, lors de la cérémonie d’attribution du nom « Émile Leynaud  » à la salle de réunion de « Parcs nationaux de France  », dont il est le directeur, à Montpellier, en mai 2009 : « Au premier rang des hommes qui ont construit Parcs nationaux de France, il faut distinguer Émile Leynaud... Il s’est, le premier, intéressé à la dimension économique et sociale de la protection de la nature en la liant non seulement aux questions agricoles et pastorales mais aussi à l’emploi, aux transports, à l’artisanat et à la transmission de la culture. Il voulait que les parcs nationaux soient le point de rencontre entre chercheurs, biologistes tout autant que spécialistes des sciences humaines. Il les a incités dès cette époque à travailler de manière pluridisciplinaire et a soutenu les premiers travaux en sociologie. Il savait que le présent et l’avenir des parcs se nourrissent d’une connaissance approfondie du passé. Il avait également décelé les limites de la loi de 1960, dont la conception d’alors de la zone périphérique réduisait ses grandes ambitions à un simple programme d’actions... Dès 1978, il proposait le renforcement des comités scientifiques, la création d’une coordination scientifique nationale pour harmoniser les programmes de recherche utiles à la gestion des parcs. En 1979 il installait, avec le concours de la direction de la Protection de la Nature, une première cellule de formation des agents, commune à tous les parcs. Il proposait également des regroupements partiels de moyens pour la communication, la signalétique pour une information de qualité au niveau national. Ainsi, sur la recherche scientifique, la maîtrise des fréquentations touristiques, le lien avec les collectivités, la communication et l’action éducative, Émile Leynaud a tracé les premières pistes...  »
La brillante carrière d’Émile Leynaud, largement consacrée à la protection du patrimoine naturel et culturel de France - sans jamais oublier sa famille, enrichie de sept petits-enfants au moment de son décès - s’est traduite par une publication à titre posthume, en 1985, « L’État et la nature : l’exemple des parcs nationaux français  », dont la conclusion résume ses convictions pour une politique française des parcs nationaux : « Un parc national n’est pas seulement un espace contrôlé, mais ce sont aussi des hommes et des visages. De leur insertion dans les communautés locales dépend très largement l’avenir de ces institutions qui ont la mission difficile de faire en sorte que le territoire des autres devienne le territoire de tous  ».