Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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L’entrée en scène de lanceurs d’alerte

Succédant à de nombreuses alertes lancées et renouvelées depuis la seconde moitié du XIXe siècle, ce cri, « La nature n’en peut plus » est poussé, depuis une vingtaine d’années déjà , par de nombreuses personnalités des sciences et des lettres, par les nombreuses associations de protection de la nature, mais aussi par un noyau avant-gardiste de hauts fonctionnaires, de responsables de grands organismes nationaux, publics et privés appartenant à la même élite technocratique déjà citée et par quelques rares hommes politiques visionnaires ; les partis politiques restant, quant à eux, à l’écart de ces préoccupations. Tous ne cessent de tirer les sonnettes d’alarme sur les dangers que fait courir à la nature et au-delà d’elle, aux humains, « la technique qui devrait le servir au lieu de l’asservir », avait déjà énoncé Eugène Claudius Petit (1907-1989) [1], ancien ministre, le 6 novembre 1957, en présidant l’assemblée constitutive des parcs de France avec l’écrivain Georges Duhamel (1884-1966).

À titre d’illustration, citons quelques ouvrages, et leur auteur, qui alertèrent très tôt sur cette situation et qui constituent encore aujourd’hui des références.

Outre le livre de Rachel Carson, déjà cité, le premier d’entre eux à paraître après la guerre, en 1948, est celui du naturaliste américain Henry Fairfield Osborn (1887-1969). Sous le titre français La planète au pillage, il est le premier à alerter sur le caractère global et mondial d’une crise qu’il voit venir pour l’humanité et qui, selon lui, conduira à sa destruction.

Le second, et premier d’un auteur français, portant le titre de Destruction et Protection de la Nature, est à attribuer à Roger Heim en 1952, alors qu’il était directeur du Muséum National d’Histoire Naturelle et vice-président de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (aujourd’hui l’UICN).
Le troisième fut un best-seller publié en 1965, traduit dans une vingtaine de langues et réédité plusieurs fois : Avant que nature meure. Il est l’œuvre de Jean Dorst (1924-2001), alors professeur au même Muséum National d’Histoire Naturelle, avant qu’il en devienne le directeur.

Le quatrième et dernier est un ouvrage plus grand public de sensibilisation aux diverses atteintes menaçant l’équilibre de la nature écrit la même année par Michel-Hervé Julien (1927-1966), un ornithologue breton, et l’un des pères fondateurs de la Société d’Étude et de Protection de la Nature en Bretagne. A travers ce petit livre, L’homme et la nature, dans lequel il explique le « pourquoi » et le « comment » de la protection de la nature, il montre sa vision humaniste des questions environnementales et leur acuité sur l’ensemble de la planète.

Ces ouvrages se diffusent dans les réseaux associatifs et militants, sensibilisant d’autres compartiments de la société et le grand public.

On ne saurait clore cette liste de personnalités pionnières, sans mentionner l’agronome et biologiste franço-américain René Dubos (1901-1982) et l’économiste britannique Barbara Ward (1914-1981), co-auteurs du rapport préparatoire de la conférence des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm en 1972 dont ils avaient été chargés par le secrétaire général, Maurice Strong (1929-2015) dès 1968. Ce rapport, intitulé « Only One Earth », « Nous n’avons qu’une Terre », fut le fil conducteur, la « Bible » des débats, en fournissant un panorama « des problèmes fondamentaux que posent les relations entre l’homme et son habitat naturel, à un moment où¹ les activités de l’homme exercent sur l’environnement des effets importants ». Il avait aussi pour objectif de sensibiliser l’opinion publique mondiale, et c’est la raison pour laquelle il fut traduit et qu’il parut, la même année, en huit langues et eu un fort retentissement.

D’autres auteurs et penseurs de l’époque prônèrent, eux, un changement radical civilisationnel en mettant en cause le progrès technologique et les trajectoires de la société au regard des questions environnementales. Hans Jonas (1903-1993), René Dumont (1904-2001) [2], Robert Hainard (1906-1993), Bernard Charboneau (1910-1996), Jacques Ellul (1912-1994), Barry Commoner (1917-2012), André Gorz (1923-2007), Serge Moscovici (1925-2014), Pierre Fournier (1937-1973), notamment, furent de ceux-là .

D’une autre façon, c’est par le roman, Les racines du ciel, publié en 1956, qu’un auteur comme Romain Gary (1914-1980), en mettant en scène son personnage Morel - un défenseur des éléphants en Afrique - fait de la protection de la nature et de l’humanité, solidairement, la nouvelle cause à promouvoir.

La pensée de ces personnalités et, pour certaines, leur action, sont à associer à une autre rupture qui se produit lors de ce tournant des années 1969-1970. À une approche naturaliste traditionnelle, plutôt réformatrice, jusqu’alors défendue majoritairement par les associations de protection de la nature, les biologistes et les écologues, s’ajoute et quelquefois s’oppose, dès la fin des années 1960, paradoxalement en France, en déconnexion des mouvements qui ont fait « mai 1968 », une approche politique dite « écologiste » portée par une nébuleuse hétéroclite de mouvements prônant une société postindustrielle, qui n’acquerra une certaine visibilité qu’à partir de la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974, et de l’opposition de ces mouvements au lancement du programme électronucléaire du gouvernement Messmer et à l’extension du camp militaire du Larzac.

Mais l’avancée décisive de la conscientisation de la société aux questions environnementales proviendra, de façon inattendue, d’un regard extérieur et éloigné porté sur notre planète. Ce sont les missions Apollo des années 1960 et celle, mémorable de 1969 qui a vu l’alunissage des astronautes américains Neil Armstrong (1930-2012) et Buzz Aldrin, qui ont révélé aux Hommes la finitude de la Terre qu’ils habitent, sa fragilité et la responsabilité de l’humanité pour en conserver sa beauté et ses caractéristiques écologiques pour qu’elle demeure vivable.


Par Henri Jaffeux



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