Mireille Jardin est née le 15 février 1947 à Paris. Après des études de lettres classiques et de droit public, elle entre au ministère de l’Environnement en 1976, un peu par hasard. Alors qu’elle était chargée des contentieux des routes au ministère de l’Equipement, elle apprend qu’un poste est ouvert au Ministère de l’environnement et rejoint la petite cellule internationale nouvellement créée et dirigée par Serge Antoine.
Allers-retours entre Paris, Bruxelles et Strasbourg
Une de ses principales tâches est de négocier avec les partenaires européens le contenu du second Programme d’Action pour l’Environnement (PAE) de la Communauté européenne, ainsi que le texte de plusieurs directives sur le thème des pollutions (eau, eaux de baignade, eaux de bouteille, déchets) et de la nature, notamment la directive Oiseaux qui sera adoptée en 1979 non sans difficultés. Cette période correspond encore à l’émergence et au début de la prise en compte de la question environnementale au sein des institutions européennes. Les représentants des États membres font ainsi leur apprentissage de la comitologie bruxelloises dans l’édification de la législation européenne de l’environnement. Toutes ces négociations se déroulent dans le cadre d’un « Groupe environnement » du Conseil de l’Union européenne, les jeudis et vendredis à Bruxelles, et Mireille Jardin y participe de 1976 à 1978.
Mireille Jardin est également impliquée dans les travaux du Conseil de l’Europe, en particulier dans les négociations de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (1979). La directive Oiseaux et la Convention de Berne se recoupant sur certains aspects, Mireille Jardin est amenée à devoir soutenir des positions difficiles, voire contradictoires, à Bruxelles et à Strasbourg. En effet, à Bruxelles, la France accepte toutes les avancées environnementales contenues dans la directive Oiseaux, tout en sachant qu’elle la bloquerait ultérieurement en exigeant qu’une directive sur les Habitats soit adoptée simultanément. Or la négociation de ce texte s’annonçant longue et difficile, l’adoption de la directive oiseaux serait de facto repoussée. La position est différente à Strasbourg pour la Convention de Berne. Cette Convention étant négociée comme un texte unique, la France adopte une position beaucoup plus obstructive. Cette double position à Bruxelles et à Strasbourg, prise sous l’influence du lobby de la chasse, sera reprochée à la France par ses partenaires européens et ne prendra fin qu’en 1978, grâce à l’intervention du ministre de l’environnement, Michel d’Ornano, celui-ci s’étant rendu compte de la position impossible dans laquelle cette stratégie l’avait placé mais sa ratification n’interviendra finalement qu’en 1989.
En plongée dans le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)
A partir de 1978, elle prend en charge, au ministère de l’Environnement, le dossier du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Elle aura deux tâches principales à ce poste : d’une part défendre les positions de la France lors de la rédaction des résolutions et recommandations notamment au Conseil d’administration du PNUE, et d’autre part participer aux négociations et à la mise en œuvre de conventions du PNUE, en particulier celles sur les mers régionales (Méditerranée, Caraïbes, Afrique de l’est).
Au cours de ces années, le PNUE mène une action primordiale dans tous les domaines de l’environnement. A Paris, le PNUE installe un Bureau spécialisé dans les relations entre industrie et environnement et Mireille Jardin est chargée d’organiser la première conférence mondiale du PNUE sur l’industrie et la gestion de l’environnement, en liaison avec la Chambre de commerce internationale. Cette conférence se tient à Versailles en 1984.
Chargée de suivre les autres programmes des Nations unies sur l’environnement, elle s’intéresse en particulier au programme sur l’Homme et la Biosphère (ou MAB pour Man and Biosphere) de l’UNESCO, lancé en 1971. Au ministère de l’Environnement, Serge Antoine accepte en 1981 de revitaliser le Comité français pour le MAB, dont elle devient Co secrétaire avec un scientifique de l’Office de la recherche scientifique et technique Outre-mer (Orstom), Gérard Martin.
Elle participe aussi à la mise en œuvre de la Convention du Patrimoine Mondial (CPM), adoptée en 1972 à l’UNESCO. Elle privilégie la défense du patrimoine naturel au sein de la délégation française à la CPM à une époque où la CPM donne la priorité aux sites culturels tandis qu’en France le ministère de la Culture s’arroge ce sujet.
Avocate du programme MAB de l’UNESCO et des réserves de biosphère
Grâce à ses contacts à l’UNESCO, elle est associée à la division des sciences écologiques au sein du secteur des Sciences de l’UNESCO pour créer un réseau méditerranéen des systèmes d’information écologiques co-organisé par le Programme MAB et l’Ecothèque méditerranéenne du CNRS, basée à Montpellier. La réunion qui jette les bases de cette coopération méditerranéenne du MAB se tient en décembre 1980. Pour poursuivre ce travail, elle sera détachée un jour par semaine à l’UNESCO par le ministère de l’Environnement.
En 1985, elle est recrutée sur un poste temporaire créé au secrétariat de la CPM. Elle est en charge de la promotion et de la communication. Elle conçoit les brochures, les cartes, elle organise des expositions. Bien qu’éloignées de sa formation de juriste, ces tâches lui plaisent.
Elle remplit cette fonction durant plusieurs années avant d’intégrer la division des sciences écologiques pour s’occuper du programme MAB. Juriste au milieu de scientifiques au sein du secrétariat de ce programme, elle peut offrir son expérience des négociations européennes et internationales et sa connaissance d’une administration nationale. Sa formation en droit s’avèrera vite très utile au moment où le programme MAB doit se doter d’une procédure et de règles en matière de désignation des réserves de biosphère. En 1993, à la demande de plusieurs États membres, elle met sur pied un groupe de travail, présidé par un éminent juriste danois, Veit Koester qui avait été très impliqué dans les négociations de la Convention sur la diversité biologique, afin de rédiger un projet de « cadre statutaire » qui définit ce que sont les réserves de biosphère, leurs fonctions et les critères pour leur désignation. Ce cadre prévoit également la tenue d’un examen périodique tous les dix ans, sur la base d’un rapport produit par le pays concerné et examiné par une commission d’experts. Cet examen périodique incite les réserves de biosphère à réviser leurs objectifs, relancer les processus participatifs, ou encore agrandir les sites par l’accueil de nouveaux territoires. Il permet en outre d’exclure du réseau les sites qui ne répondraient pas aux critères.
Le cadre statutaire des réserves de biosphère est issu d’une négociation difficile entre pays désirant un cadre très précis et d’autres promouvant une grande flexibilité dans le choix et la gestion des réserves. Ce cadre est adopté en 1995 à l’unanimité par la Conférence générale de l’UNESCO. La même année, une stratégie dite de Séville est élaborée, document fondateur dont les principes sont toujours d’actualité. Ce cadre statutaire est aussi un outil permettant au programme MAB d’affirmer son existence et sa pertinence dans un contexte où la biodiversité devient un sujet majeur dans le système onusien (adoption de la Convention sur la Diversité Biologique – CDB - en 1992 à la Conférence de Rio) autant qu’un objet de rivalités, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) n’ayant, par exemple, jamais pleinement reconnu la pertinence des réserves de biosphère qu’elle considère uniquement comme un label international).
Lors des négociations de la CDB, l’UNESCO assiste aux discussions en tant qu’observateur, au même titre que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’UICN. Il est en outre demandé à ces trois institutions de constituer un groupe de juristes qui seront consultés sur les différents articles du texte et Mireille Jardin y représente l’UNESCO. Il convient de rappeler qu’avec cette Convention, on change de conception et d’ambition, en passant d’une approche sectorielle (conservation d’espèces ou d’habitats sélectionnés) à une approche holistique de la biodiversité, par laquelle la conservation et l’utilisation de la biodiversité reçoivent une égale importance. Cette conception est proche du concept de réserve de biosphère, d’où l’importance de faire connaître leur existence et les discussions autour de leur mode de fonctionnement.
Cette reconnaissance difficile des réserves de biosphère peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment leur caractère pionnier et le fait qu’il ne s’agit pas uniquement d’aires protégées mais plutôt de projets de territoires alliant conservation et développement. Au travers du programme MAB, l’UNESCO est en effet la première institution à défendre l’idée qu’on ne peut pas séparer les activités humaines et la protection de la nature et que les hommes doivent être associés à la conservation de la nature. Cette idée est en outre mise en œuvre dans les réserves de biosphère au travers de processus participatifs visant la cogestion du site, associant notamment les communes, les acteurs socio-économiques et les organisations locales. Pionniers pour l’époque, ces principes de démocratie locale rencontrent la résistance de certains États-membres. En cela, les réserves de biosphère s’éloignent beaucoup des sites de la liste du patrimoine mondial, pour lesquels c’est le caractère exceptionnel et universel qui est reconnu et labellisé. Les réserves de biosphère se situent davantage dans une logique de conservation d’une nature « ordinaire » au travers d’une obligation de moyens, plus que de résultats, impliquant et promouvant la participation et l’initiative locales. Elles constituent des espaces tests pionniers pour la mise en œuvre du concept de développement durable, à une période où ce terme n’existe pas encore.
A la fin de sa carrière, les réserves de biosphère transfrontalières mobilisent Mireille Jardin. En 2000, elle établit un groupe de travail afin de fixer des recommandations en matière d’établissement et de fonctionnement de ces réserves. Ces recommandations sont adoptées lors d’une conférence mondiale du MAB à Pampelune.
Mireille Jardin reste au secrétariat du MAB jusqu’à sa retraite en 2007. Elle revient cependant à l’UNESCO, à la demande du directeur général, pour assumer les fonctions, en 2008 et 2009, de porte-parole du directeur général de l’organisation, Koichiro Matsuura, puis de chargée de la communication avec son successeur, Irina Bokova, durant les premiers mois de prise de fonction de cette dernière. Elle participe à ce titre au lancement, à l’UNESCO, de l’année de la biodiversité, qui deviendra ensuite la décennie des Nations Unies pour la biodiversité (2011-2020).
Elle a été et reste active au sein du Comité MAB France et a contribué à inscrire les réserves de biosphère comme outil de développement durable dans la Loi française pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016.
Sources :
Entretien du 19 juillet 2016 chez Mireille Jardin, à Paris, avec Jean-Christophe Vandevelde
Publications :
Jardin, M., « Les réserves de la biosphère se dotent d’un statut international : enjeux et perspectives », Revue Juridique de l’Environnement, 21, 4, 1996, p. 375-385.
Jardin, M., « Global biodiversity governance : The contribution of the main biodiversity-related conventions », in Billé, R., Chabason, L., Chiarolla, C., Jardin, M., Kleitz, G., Le Duc, J-P., Mermet, L., Global governance of biodiversity : New perspectives on a shared challenge, Health and Environment Reports, IFFRI, décembre 2010, p. 6-44.