Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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In Nature We Trust

Les paysages anglais àl’ère industrielle

Comment sont nés les premiers mouvements de protection de la nature ? Quelles ont été leurs motivations et leur idéologie ? Quelles résistances et quels soutiens ont-ils rencontrés ? Ce sont les questions auxquelles l’ouvrage In Nature We Trust de Charles-François Mathis, tente de répondre, en étudiant le cas de l’Angleterre entre 1750 et 1914, espace symbolique du développement de l’industrialisation et de l’urbanisation, et l’un des pays pionniers en matière de préservation de la nature.

Partant de la transformation du regard porté sur une nature devenue paysage et de l’analyse d’une idéologie « environnementale  » en pleine élaboration - notamment dans les écrits du poète William Wordsworth, qui insiste sur les valeurs patriotique et spirituelle des paysages anglais –, cette histoire est complétée par celle des actions menées par les différentes associations de défense de la nature, dont les plus importantes, comme le National Trust, crée en 1895, sont étudiées en détail. De la chanson au tableau de maître, des premières photographies aux plus grands poèmes de l’époque victorienne, en passant par les témoignages recueillis dans les rapports du Parlement, cet ouvrage éclaire ainsi d’un jour nouveau les origines de la relation si particulière du peuple anglais à ses paysages.

A bien des égards, à la lecture de l’ouvrage, il est tentant de faire des rapprochements entre les fondements de l’émergence d’une « pensée environnementale » anglaise au XIXe et les initiatives qui naissent et se développent en France durant la même période en faveur de la préservation des paysages et des monuments naturels.

Professeur agrégé et docteur en histoire, Charles-François Mathis est membre de l’AHPNE et l’un de ses administrateurs. Il enseigne à l’université Paris-Sorbonne. Spécialiste d’histoire culturelle et sociale britannique, il travaille actuellement sur les questions de protection de l’environnement en France et en Grande-Bretagne à l’époque contemporaine. Il a obtenu le Prix 2011 du Travellers Club, de la Société de géographie et le Prix Grammaticakis-Neumann 2011 de l’Académie des Sciences morales et politiques.

Auteur : Charles-François Mathis.
Parution : 2010.
Editeur : PU Paris-Sorbonne.
Collection : Centre Roland Mousnier.
685 pages.
ISBN : 978-2-84050-577-8

Recension de François Jarrige dans la Revue d’histoire du XIXe siècle

L’histoire environnementale est un champ d’étude en plein développement. Longtemps peu présente en France, elle a donné lieu à quelques réalisations récentes de grande qualité. Le livre de Charles François Mathis, issu de sa thèse de doctorat soutenue à l’université Paris IV, s’inscrit dans ce champ nouveau. Il s’intéresse à l’émergence, dans l’Angleterre en cours d’industrialisation et d’urbanisation, d’une pensée et de mouvements environnementaux. L’ouvrage repose sur une démonstration diachronique passionnante. L’auteur étudie d’abord les « premiers combats  » au XIXe siècle – avec la défense des droits de passage et des communaux ou la création des premiers parcs – qu’incarne notamment la figure tutélaire du poète Wordsworth et sa pensée environnementale « avant-gardiste  ». Par la suite, face à l’aggravation considérable des pollutions de l’air et des eaux, un processus croissant de professionnalisation voit le jour, qui aboutit à l’essor des mouvements environnementaux et de luttes contre la pollution.

Mais jusqu’aux années 1870, l’Angleterre veut avant tout rester une nation industrielle car c’est de là qu’elle tire sa puissance, et cette prégnance de la culture industrialiste explique la prudence des autorités et des premières réglementations. Dans ce contexte, le mouvement environnemental demeure marginal et peu audible, même s’il prépare le terrain aux évolutions futures. L’essor de l’environnementalisme proprement dit n’a lieu que dans le dernier quart du XIXe siècle alors que le sentiment de déclin s’empare des Victoriens. Les promesses de l’industrialisation semblent déçues ; la nostalgie pour l’ancienne Angleterre verte et rurale prend de l’ampleur. Les années 1870 voient donc un véritable tournant avec la montée en puissance d’une « conception sentimentale  » de l’environnement naturel. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les associations « environnementales  » de diverses tendances se multiplient alors que la science écologique naît, et elles obtiennent le soutien de plus en plus net du reste de la société. L’auteur reconstitue très bien les multiples tendances qui traversent ce milieu foisonnant, entre les associations « réformatrices  » et modérées et les « utopistes  » des communautés anarchistes.

L’un des intérêts majeurs de ce livre est de proposer une synthèse en français du cas anglais, sans doute le mieux connu en raison de l’abondante bibliographie sur ces questions et de la précocité des débats et des expériences outre-Manche. Il s’agit d’abord d’une histoire culturelle, fondée sur un vaste dépouillement des sources imprimées et sur une très bonne connaissance de la bibliographie anglaise et nord-américaine sur le sujet. S’appuyant notamment sur les recherches importantes de Peter Brimblecombe, Christopher Hamlin ou Stephen Mosley, Charles-François Mathis propose une vaste fresque o๠se combine l’étude des organisations, de la pensée de quelques figures comme Morris ou Ruskin et de l’évolution de la législation. L’une des forces du livre est d’adopter une perspective large en tentant de tenir ensemble l’étude des luttes contre les pollutions et celles en faveur de la protection de la nature même si, comme il le montre, les deux mouvements répondent à des logiques distinctes. Par ailleurs, l’ouvrage est très bien présenté, il contient un index, une chronologie et un recueil de notices biographiques qui en feront un instrument de travail très utile. Il est par ailleurs remarquablement illustré avec des reproductions en couleurs de documents divers – des photos, des peintures, des caricatures – et de nombreux extraits de sources soigneusement traduits et commentés. Autant d’éléments qui font d’ores et déjà de ce livre une mine d’informations et une synthèse précieuse.

Quelques interrogations naissent toutefois au cours de la lecture. À force de partir en quête des « précurseurs  » en « avance sur leur temps  » et des premiers combats environnementaux, l’auteur semble parfois céder à une approche téléologique qui risque de simplifier à l’extrême les situations passées. En s’intéressant à quelques « affaires  » spectaculaires mettant aux prises des personnalités hors-normes qui s’expriment dans l’espace public, ne risque-t-on pas de rendre invisibles les configurations plus quotidiennes, les négociations multiples à travers lesquelles étaient pensés l’environnement et les nuisances industrielles ? Ce problème apparaît en particulier dans l’usage que l’auteur fait des concepts « d’environnement  » ou « d’environnementalisme  » qui auraient sans doute mérité plus de développement que la seule note 25 de la page 27. Par ailleurs, à l’heure de la montée en puissance des approches comparée et connectée, l’auteur aurait sans doute pu discuter davantage la thèse de Richard Grove, qu’il évacue brièvement en introduction, sur les liens entre impérialisme et montée en puissance des préoccupations environnementales en Angleterre1. On peut aussi s’étonner de ne jamais voir citer les travaux d’E. P. Thompson, qui a tant fait pour introduire une approche sensible de la « révolution industrielle  » et des luttes qu’elle a suscitées en Angleterre, et qui a rédigé la première grande biographie de William Morris. Il est tout aussi étonnant que l’auteur, qui s’inscrit pourtant explicitement dans le champ de l’histoire des représentations, ne cite à aucun moment les travaux d’Alain Corbin sur l’histoire des sensibilités et des paysages. Il aurait enfin pu être utile de mettre le cas britannique en perspective avec la situation française qui est de mieux en mieux connue. Ces quelques interrogations n’enlèvent évidemment rien à l’intérêt de ce livre à la fois dense, clair et informé, qui constitue une contribution majeure pour comprendre les réactions de la société britannique, et au-delà européenne, à l’industrialisation conquérante.

Note

1 . Richard Grove, Green Imperialism : Colonial Expansion, Tropical Island Edens and the Origins of Environmentalism 1600-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

Référence

François Jarrige, « Charles-François MATHIS,In Nature We Trust. Les paysages anglais à l’ère industrielle, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2010, 685 p. ISBN  : 978-2-84050-577-8. 28 euros.  », Revue d’histoire du XIXe siècle [En ligne], 43 | 2011, mis en ligne le 13 juillet 2012, consulté le 14 février 2014. URL : http://rh19.revues.org/4191


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