Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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Des parcs nationaux « à la française »

Alors que de fortes pressions s’exerçaient sur les espaces et milieux naturels, la direction générale des Eaux et Forêts du ministère de l’Agriculture reçut du gouvernement la mission de trouver des solutions pour y faire face. Elle s’organisa en conséquence en confiant cette tà¢che en 1955, à un chargé de mission, Yves Bétolaud (1926-2003), puis à partir de 1957 en constituant une division de la Protection de la Nature avec deux autres ingénieurs, Bernard Fischesser et André Soubeiran, qui fut ensuite transformée en sous-direction de l’Espace Naturel en 1965 dans le cadre de la réforme du ministère de l’Agriculture conduite par Edgar Pisani (1918-2016).

Les outils juridiques spécifiques de protection des espaces naturels faisant défaut, il fut tout d’abord proposé d’étendre la possibilité de classement des monuments naturels et des sites, offerte par la loi du 2 mai 1930 aux sites revêtant un intérêt scientifique pour les ériger en réserves naturelles. Ceci fut fait en 1957 avec l’adjonction d’une disposition à la loi qui permit le classement d’une première réserve officielle en 1961, le lac Luitel dans l’Isère, suivie de la création de celles de Tignes-Champagny et Val d’Isère-Bonneval contigà¼es au parc national de la Vanoise, en 1963, et de l’officialisation en 1968 de la réserve du Néouvielle dans les Hautes Pyrénées, créée en 1935 à l’initiative de la Société National de Protection de la Nature (SNPN) et du professeur Pierre Chouard (1903-1983), mitoyenne du parc national des Pyrénées Occidentales. La SNPN encouragera quelques années plus tard les propriétaires privés à constituer leurs terrains en « réserves libres  ».

Ces outils juridiques faisaient aussi défaut pour la préservation de la faune et de la flore en dehors de la législation et de la réglementation de la chasse, des nuisibles et de la pêche. Dans un premier temps, en 1962, le ministre de l’Agriculture fit jouer son pouvoir réglementaire pour protéger, c’est-à -dire interdire à la chasse sur l’ensemble du territoire certaines espèces jusqu’alors classées nuisibles telles que les aigles, le balbuzard, le hibou grand-duc, etc. et faire réglementer par les préfets, le statut départemental des autres espèces pouvant être classées nuisibles. En 1964, pour aider ces derniers dans cette tà¢che, le ministre désigna des « conseillers biologistes  » dans chaque département.

De la même façon, le ministre de l’Agriculture utilisa son pouvoir réglementaire pour, sur proposition de Michel Brosselin au titre des activités du bureau MAR, constituer un réseau de réserves de chasse pour le gibier d’eau sur le domaine public fluvial, mesure qui fut étendue en 1968 sur le domaine public maritime.

Pour contenir la poussée urbaine et son appétit dévorant pour les espaces boisés, le ministère de la Construction et celui de l’Agriculture firent adopter l’ordonnance du 31 décembre 1958 qui a ouvert la possibilité de classer certains espaces boisés urbains et périurbains en zone inconstructible dans les plans d’urbanisme, futurs plans d’occupation des sols (POS) qui seront institués par la loi d’orientation foncière de 1967. De même, pour limiter l’urbanisation sauvage du littoral de la côte d’Azur le ministère de la Construction se dota l’année suivante d’un outil juridique lui permettant de délimiter des « périmètres sensibles  » au titre desquels « le permis de construire peut-être refusé si les constructions, par leur situation, leurs dimensions, ou l’aspect extérieur […] sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales  ». Cette disposition fà »t étendue à l’ensemble du territoire deux ans plus tard.

Pour les grands espaces dotés de paysages et d’écosystèmes remarquables, il n’existait pas non plus d’outils juridiques. Les parcs nationaux avaient cette fonction à l’étranger, et, paradoxalement, dans les colonies françaises o๠de nombreux parcs et réserves avaient été créés par les gouverneurs de ces territoires. Mais il n’en existait pas en France métropolitaine malgré plusieurs tentatives au commencement du siècle. Depuis plusieurs années déjà , différents courants de pensée militaient en faveur de leur création. On y trouvait tout un aéropage de personnalités, parmi lesquelles il est nécessaire de distinguer l’ancien maire de Bonneval sur Arc, Gilbert André (1927-2018) pour le rôle singulier qu’il eut dans la réflexion préalable à l’élaboration de la loi et ensuite pour sa participation active à la création du parc de la Vanoise. Finalement, toutes ces voix, ajoutées aux demandes récurrentes exprimées par le Conseil National de Protection de la Nature, convainquirent le Premier ministre, Michel Debré (1912-1996), lequel demanda en décembre 1959 à la direction générale des Eaux et Forêts de préparer un texte permettant de créer des parcs nationaux.

L’élaboration du texte a été fortement influencée par les débats qui avaient cours, depuis plusieurs années, autour d’un projet de parc dans le massif de la Vanoise. Les scientifiques étaient assez hostiles à l’idée d’ouvrir le parc au public, ce qui leur paraissait contradictoire avec l’idée de protection et peu compatible avec leurs projets de recherches. D’autres voulaient, au contraire, en faire un lieu largement ouvert pour offrir une compensation aux populations urbaines privées du contact avec la nature. Les chasseurs y voyaient un moyen de reconstituer des populations de gibier, et d’autres, un outil de développement pour conforter les populations locales et l’économie en difficulté.

Malgré ces attentes multiples et diverses, le texte de loi fut rapidement mis au point en relation étroite avec le Conseil National de la Protection de la Nature dont l’une des missions consistait, justement, à définir le statut des parcs nationaux et des réserves. En proposant que la loi fasse référence au schéma d’un zonage radioconcentrique, comprenant des réserves intégrales à l’intérieur d’une zone centrale entourée d’une zone périphérique, l’architecte Denys Pradelle (1913-1999), en charge du projet de parc, réalisera une apparente synthèse des attentes recensées et fera naître la conception des « parcs nationaux à la française  ».

La loi fut adoptée par le Parlement et promulguée l’année suivante par le Général de Gaulle, le 22 juillet 1960. Elle permit, pour la période considérée, la création des parcs nationaux de la Vanoise et de Port-Cros (1963), des Pyrénées occidentales (1967) et des Cévennes (1970).

Pour les citadins, de plus en plus nombreux à vouloir s’aérer les fins de semaine et pour les touristes et vacanciers, les forêts publiques offraient un lieu de détente en rapport avec leur fonction sociale mais elles bénéficiaient jusqu’alors de bien peu d’aménagements spécifiques pour permettre leur accueil sans porter atteinte au cadre naturel, à la faune et à la flore, au calme des lieux et à la production forestière. La direction générale proposa en 1962 au ministre de l’Agriculture, Edgar Pisani (1918-2016), une véritable politique d’aménagement des forêts domaniales et des collectivités pour l’accueil des visiteurs et des promeneurs. Cette nouvelle politique eut des effets bénéfiques sur l’éducation du public et permit notamment, en raison de la demande sociale qu’elle engendra, de valoriser et de protéger les forêts et espaces verts périurbains.

Cette politique d’ouverture des espaces publics forestiers avait aussi un corollaire : l’acquisition par l’État et les collectivités de forêts remarquables menacées en région parisienne et près d’autres agglomérations telles que Lille et Marseille et sur le littoral.


Par Henri Jaffeux
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