Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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La protection de la nature et de l’environnement entre 1945 et 1971

Le 7 janvier 1971, un communiqué de l’Élysée annonçait, dans le cadre d’un remaniement ministériel partiel, la création d’un tout nouveau ministère, celui de la protection de la nature et de l’environnement dont les rênes étaient confiées à Robert Poujade (décédé au printemps 2020).

La question environnementale est devenue tellement omniprésente que plus personne ne s’étonne, aujourd’hui, de l’existence d’un ministère dédié à ce champ de l’action publique. Mais en 1971, il en fut tout autrement, et cette décision du président Georges Pompidou (1911-1974) surprit tant la sphère administrative étatique que les milieux politiques, journalistiques, et les associations de protection de la nature et de l’environnement.

Ces réactions signifiaient-elles que cette question avait été absente de l’action gouvernementale antérieurement à cette décision ? Et qu’elle était tout autant ignorée de la société française et de la communauté internationale de l’époque ?

Pour tenter de répondre à ces interrogations et se faire une idée de ce que pouvait vouloir dire et annoncer cette apparente innovation gouvernementale, il est nécessaire d’effectuer un retour en arrière sur le contexte de cette période et sur celui qui l’a précédé après la Seconde Guerre mondiale, en mettant l’un et l’autre en relation avec les problématiques environnementales qui s’y firent jour mais qui révéleront tous leurs effets plus tard, et dont les conséquences sont encore bien perceptibles aujourd’hui.
Ainsi donc, en 1971, la création du premier ministère de l’Environnement en France, et l’année suivante, l’organisation de la première conférence des Nations-Unies sur l’environnement humain à Stockholm viennent clore une période de vingt-cinq années durant laquelle, les acteurs publics et privés français et internationaux, et plus généralement la société, firent l’apprentissage de la protection de la nature et de l’environnement. Imaginaient-ils la postérité à laquelle donnerait lieu leur entreprise ?

La France des « Trente Glorieuses »

L’âge d’or, sous les traits duquel ces trente années sont souvent présentées, ne doit pas occulter le fait qu’elles n’ont pas été un long fleuve tranquille !

Sur le plan international, les tensions géopolitiques apparues après la Seconde Guerre mondiale entre le bloc de l’Ouest, avec à sa tête les États-Unis, et le bloc de l’Est dominé par l’URSS attisent la compétition économique et militaire entre les deux blocs et génèrent une dangereuse course aux armements nucléaires. Cette « guerre froide », perdurera jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989 et à la dissolution de l’URSS en 1991. La France renforcera, elle aussi, ses capacités militaires et se dotera de l’arme nucléaire.

Sur le plan intérieur, si la IVe République peut mettre à son crédit sa participation active à la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) en 1951, destinée selon Robert Schuman (1886-1963), son inspirateur, à empêcher le retour d’une guerre entre la France et l’Allemagne et à celle de la Communauté Économique Européenne (CEE) en 1957, elle n’a pas su aborder la décolonisation, s’abîmant dans la guerre d’Indochine et le démarrage de la guerre d’Algérie. Elle a dû alors céder la place à la Ve République en 1958 qui, elle-même, devra assumer cette décolonisation au prix fort du drame algérien.

Malgré ces tragédies, il y a bien eu un âge d’or durant ces « Trente Glorieuses » ! Depuis la fin de la guerre, la France, qui en est sortie exsangue, bénéficie, à l’instar de la plupart des pays de l’OCDE, d’une croissance économique exceptionnelle, plus 5 % en moyenne par an, tirée par l’investissement et la consommation. Elle connaît le plein-emploi et l’ascenseur social fonctionne à plein. Le niveau de vie de la population est en constante augmentation. En 1971, donc, au moment de la création du ministère, les effets de cette croissance sont déjà bien visibles et repérables sur l’ensemble du territoire.

« Les champs du départ » (*)

C’est d’abord une profonde transformation des campagnes et de l’agriculture permise et encouragée financièrement par le plan Marshall à partir de 1948, puis, à partir de 1962, par la politique agricole commune (PAC). L’augmentation de la productivité de l’agriculture qui sera recherchée, et obtenue, par la mise en œuvre des lois d’orientation agricole de 1960 et 1962, laissera plus tard, revers de la médaille, une forte empreinte négative dans le paysage rural et les équilibres écologiques, à la suite des travaux connexes aux restructurations foncières (remembrements) rendus nécessaires par la mécanisation et l’intensification culturale des systèmes de production.

Bien que la modernisation agricole ait commencé au XVIIIe siècle et se soit poursuivie au XIXe siècle et après la 1re Guerre mondiale, il faut considérer que celle qui se déroule après la Seconde Guerre mondiale est sans commune mesure avec les précédentes.

Dans un article sur la modernisation de l’agriculture daté de 1953, Joseph Klatzmann, professeur à l’Institut National Paris-Grignon, cite, pour les travaux à réaliser, les objectifs chiffrés de la Commission de modernisation de l’équipement rural du Commissariat Général du Plan établis en 1946 : 10 millions d’hectares à remembrer, 1 600 000 hectares à assainir, 3 millions d’hectares à drainer, 250 000 hectares à irriguer, 100 000 kilomètres de cours d’eau à aménager et 500 000 kilomètres de chemin à ouvrir.

Au 1er octobre 1952, 1 350 000 hectares avaient été remembrés. Ce chiffre augmentera régulièrement jusqu’à la fin des années 1960, le pic étant atteint en 1969 avec 6 500 000 hectares remembrés cumulés. En 2010, dans une étude portant sur « Soixante années de remembrement », Marc-André Philippe et Nadine Polombo ont chiffré la surface totale remembrée à 17 000 000 d’hectares en 2006, soit plus de la moitié des surfaces agricoles, situés principalement dans le Nord et l’Ouest de la France, ce chiffre incluant les remembrements consécutifs à la réalisation des infrastructures routières et ferroviaires qui sont surtout construites à partir des années 1970.

On le voit, l’impact de ces travaux était potentiellement considérable sur l’ensemble de la trame écologique du territoire. On estime qu’ils ont fait disparaître 750 000 kilomètres de haies et plusieurs centaines de milliers d’hectares de zones humides. En réaction à leur assèchement et à leur drainage, qui inquiètent et mobilisent les défenseurs de la nature et de la sauvagine, le Bureau MAR (pour la racine commune aux mots désignant les MARécages en français, MARshes en anglais, MARismas en espagnol et MARemma en italien) est créé en 1962, à l’instigation de Luc Hoffmann (1923-2016), dans le cadre de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). En France, son action est animée par Michel Brosselin (1936-1980) puis par la Société nationale de protection de la nature (SNPN) quand celui-ci en devient le directeur scientifique en 1970. Relayé dans plusieurs pays, conjugué à celle d’organisations cynégétiques, le lobbying du bureau MAR aboutira à l’élaboration et à la signature en 1971, dans la ville iranienne de Ramsar, de la convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau.

Cette modernisation conduite à marche forcée est, notamment, décrite et soutenue au nom du Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA) en 1963 par Michel Debatisse (1929-1997) dans sa Révolution silencieuse. Au sein du monde agricole, les réactions et oppositions à cette orientation sont peu nombreuses, bien qu’elles génèrent des conflits générationnels, et surtout inaudibles, ou presque, tant le mouvement de modernisation est puissant. Cependant, dès 1964, Mateo Tavera (1905-1970), André Louis (1901-1970) et André Birre (1904-1991), partisans et praticiens d’une agriculture alternative s’opposent à la modernisation en cours qui prône l’utilisation massive d’engrais et de pesticides issus de la chimie de synthèse et créent l’association Nature et Progrès qui militera pour le développement de l’agrobiologie puis de l’agriculture biologique.

Les lois sur la modernisation de l’agriculture ont notamment pour effet d’accélérer fortement l’exode rural, ce qui provoque un dépeuplement accéléré des campagnes décrit en 1967 dans La fin des paysans par Henri Mandras (1927-2003). Celui-ci est assumé et encouragé pour fournir de la main d’œuvre aux secteurs industriel et tertiaire en plein développement. À partir de 1968, la mise en œuvre au sein de la PAC de certaines des préconisations contenues dans le rapport du commissaire européen à l’agriculture Sicco Mansholt (1908-1995) et dans celui de Georges Vedel (1910-2002) « Perspectives à long terme de l’agriculture française » allant dans le même sens, accélèreront encore ce mouvement en encourageant financièrement les agriculteurs à quitter leur ferme et à favoriser une redistribution de leurs terres ainsi rendues disponibles. L’objectif était donc d’obtenir une concentration des exploitations agricoles pour les rendre compétitives et capables de s’aligner sur les prix des marchés mondiaux. Ces mesures sociales brutales, en remettant en cause les valeurs inspiratrices du projet de modernisation soutenu au départ par les organisations syndicales agricoles cherchant à concilier les exigences économiques et le développement de l’Homme furent contestées par la profession. Selon l’inspecteur général de l’environnement Émile Leynaud (1927-1982), cette réforme en profondeur de l’agriculture « essaiera de concilier l’inconciliable, à savoir une agriculture d’entreprise greffée sur une société paysanne et respectant le principe de l’exploitation familiale ».

Cette fuite de la population des campagnes vers les villes sera freinée un temps, par des politiques adaptées du ministère de l’Agriculture dans les zones d’action rurale définies en application de la loi de 1960 et, à partir de 1967, par des dispositifs publics de rénovation rurale et de soutien à l’agriculture de montagne. Elle sera aussi un peu contrecarrée par les mouvements de jeunes urbains aux aspiration libertaires et écologiques d’après 1968, qui tentent de s’installer dans les espaces ruraux délaissés par les paysans. La célèbre chanson « La montagne » de Jean Ferrat (1930-2010), témoigne, pour toute une génération, de cette profonde transformation économique, sociale et environnementale du pays.

Une autre modalité de l’intensification agricole réside dans le développement de l’usage des engrais minéraux, des herbicides et des produits phytosanitaires de synthèse. Les conséquences environnementales sur l’écologie des écosystèmes et sur la santé humaine de ces nouvelles pratiques qui se généralisent, ne sont pas, elles, immédiatement et visuellement perceptibles bien qu’elles aient été dénoncées, notamment, par la biologiste américaine Rachel Carson (1907-1964) dans son fameux ouvrage Silent Spring qu’elle fait paraître aux États-Unis en 1962 et qui sera traduit en France en 1968, sous le titre de Printemps silencieux, avec une préface du professeur du Muséum Roger Heim (1900-1979). C’est à ce moment-là que des scientifiques déplorent dans la revue Science Progrès La Nature, le faible soutien apporté aux recherches sur la lutte biologique contre les insectes nuisibles en agriculture.

Les difficultés que nous rencontrons dans la gestion et la résorption des externalités environnementales négatives que génère l’agriculture aujourd’hui, tiennent pour partie au caractère productiviste et au modèle économique qui lui a été donné depuis les années 1960, bien que d’autres causes puissent être invoquées, comme la pression exercée par les consommateurs et les grandes chaînes de distribution des produits d’alimentation engagés dans une course aux prix les plus bas, poussant les exploitants agricoles à intensifier leur activité et être de plus en plus compétitifs pour obtenir des avantages concurrentiels.

Au cœur de la « révolution invisible »

Ces années de profondes mutations sont aussi dans les territoires, les marques laissées par la reconstruction et le réaménagement des nombreuses villes détruites pendant la guerre, celles-ci bénéficiant des moyens mobilisés dans le cadre des politiques de « rénovation urbaine » qui se traduiront par la destruction et la réhabilitation du tissu urbain ancien et la mise en pratique des théories de l’urbanisme moderne de Le Corbusier (1887-1965) dans le logement collectif.

À ces nécessités nées de la guerre, s’ajoutent, dès le milieu des années 1950, la construction massive de nouveaux logements - « les grands ensembles » modernes des banlieues ouvrières - pour répondre à la forte demande résultant cumulativement du baby-boom d’après-guerre, de l’exode rural, de l’accueil de la main d’œuvre étrangère à laquelle il est fait appel pour le redémarrage industriel, et à partir de 1962, de celui des rapatriés d’Algérie. « L’appel » de l’abbé Pierre (1912-2007) du 1er février 1954 en faveur des « sans-abri » est resté dans les mémoires. Il intervient dans ce contexte général et cette tension, accentués, conjoncturellement, cet hiver-là, par deux vagues de froid exceptionnelles.

La reconstruction et la modernisation des infrastructures et des zones industrielles détruites et le nouvel essor qui leur est donné grâce aux investissements massifs dont elles bénéficient, génère des chantiers gigantesques. Après le chantier du barrage-centrale de Génissiat sur le Haut-Rhône commencé avant la guerre et mis en service en 1948, présenté lors de son inauguration par le président Vincent Auriol (1884-1966) comme le « Niagara français », l’un des plus emblématiques est celui du barrage hydroélectrique de Donzère-Mondragon, construit entre 1948 et 1952 au titre des aménagements réalisés par la Compagnie Nationale du Rhône (CNR). Il a été considéré comme le plus grand chantier d’Europe du moment.

Cette forte croissance industrielle inspirée par le programme du Conseil National de la Résistance et promue par le général de Gaulle (1890-1970) dès la Libération, et à partir de son retour au pouvoir en 1958, prendra son essor durant la IVe République, indépendamment de ses vicissitudes. Elle sera poursuivie par le successeur du général, Georges Pompidou, et restera attachée à l’image des « Trente Glorieuses » qualifiée de « révolution invisible » - du fait qu’elle s’est déroulée sans interruption sur trois décennies - par Jean Fourastié (1907-1990) dans l’ouvrage qu’il fait paraître en 1979. Elle sera considérée comme étant le produit de l’action volontariste de l’État conduite par et sous l’égide du commissariat général du Plan créé en 1946, et des « plans Monnet » successifs qui seront pensés et mis en œuvre par une élite technocratique formée par les ingénieurs membres des grands corps techniques de l’État (Polytechnique, Mines, Ponts et Chaussées, Génie rural…).

Elle aura aussi été permise par l’accès aux énergies fossiles abondantes et à bas coût : charbon américain et de la Sarre dans un premier temps, pétrole et gaz d’Algérie, gaz de Lacq, notamment, dans un second temps.

Aucune des autorités en responsabilité durant cette époque, pas plus d’ailleurs que les milieux scientifiques et environnementalistes, ne soupçonnaient qu’elles seraient, seulement une trentaine d’années plus tard, jugées comme étant la cause principale du réchauffement climatique global d’origine anthropique et, de ce fait, vouées aux gémonies.

Mais plus encore que les chantiers ponctuels de travaux publics, c’est le déploiement des politiques d’aménagement du territoire sur l’ensemble du pays qui le transforme profondément. L’inégale répartition des activités sur le territoire avait été soulignée par Jean-François Gravier (1915-2005) dans son ouvrage célèbre Paris et le désert français, dès 1947. Après plusieurs tentatives et initiatives prises sous la IVe République pour apporter une réponse à ce problème mais qui n’avaient pas donné de solutions satisfaisantes, ces politiques connaissent une nouvelle et forte impulsion avec la création de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) en 1963 et l’action de ses deux premiers délégués, Olivier Guichard (1920-2004) et Jérôme Monod (1930-2016) entre 1963 et 1974.

Celle-ci se voit investie de cette mission de trouver les moyens de rééquilibrer la répartition de la population, de favoriser le développement de zones d’activité nouvelles, de doter le pays en infrastructures et en équipements modernes. C’est ainsi que sera instituée une douzaine de métropoles d’équilibre (Lyon-Saint-Etienne-Grenoble, Aix-Marseille…) pour faire contrepoids à la centralisation parisienne ; que sera créée une dizaine de villes nouvelles (Marne-La vallée, Le Vaudreuil…) ; que sera accélérée la construction du réseau autoroutier ; que seront lancées les politiques d’aménagement et de développement touristique du littoral (Aquitaine, Languedoc Roussillon, côte atlantique) avec la création de résidences et de ports de plaisance et de la montagne avec les plans neige pour le développement des stations de sports d’hiver en altitude. C’est aussi, accompagnant l’urbanisation rapide, le développement et la multiplication des zones d’activité et centres commerciaux en périphérie des villes.

Si c’est la DATAR qui pense et coordonne l’aménagement du territoire, c’est bien le ministère de l’Équipement, créé en 1966 par la fusion des ministères des Travaux publics et des Transports et du ministère de la construction, qui a la haute main sur la réalisation des équipements et des infrastructures. Ainsi, l’aménagement de la France est confié à deux puissants moteurs qui tourneront, désormais, à plein régime.

De fait, à la fin des années 1960 et au début de la décennie suivante des années 1970, au crépuscule de la période des « Trente Glorieuses » - mais personne ne sait encore à ce moment-là qu’elle prendra fin avec le premier choc pétrolier qui surviendra bientôt, en 1973 - la France a réussi son redressement économique et cherche encore à l’amplifier sous la présidence de Georges Pompidou. Mais c’est un redressement économique acquis grâce à un modèle de croissance qui ne s’est pas ou qui s’est insuffisamment préoccupé de ses conséquences tant environnementales que sociales.

De « La nature n’en peut plus ! » à l’utilisation rationnelle des ressources de la biosphère

Et c’est - on peut en être surpris aujourd’hui - un numéro spécial du bulletin d’information du ministère de l’Agriculture, publié en 1970 avec le concours du comité interministériel pour l’information, préfacé par le ministre lui-même, Jacques Duhamel (1924-1977), au nom du comité français d’organisation de l’année européenne de la nature qu’il préside, qui, sous le titre choc La nature n’en peut plus, dresse un constat sans nuance de toutes les « pressions », qu’exerçaient partout sur la planète les activités humaines sur la nature et les externalités négatives pour l’environnement de la consommation de masse dans les pays développés. L’auteur, le journaliste Nicolas Skrotzky (1918-1998), en établissait un bilan catastrophique : explosion démographique, pollution de l’air et de l’eau, érosion et empoisonnement des sols, pollution des océans, massacre de la faune et des forêts.

Contrairement au regard qui est souvent porté aujourd’hui sur cette période, au tournant des années 1969-1970, la prise de conscience que ce constat suscite est quasi générale, mondiale, européenne et elle l’est aussi en France. Comment en est-on arrivé là ? Quelles ont été les actions et les réponses qu’apportèrent les acteurs publics et privés, tant au plan international qu’au plan national français, durant cette période allant de 1945 aux années 1970 ?

Si, après-guerre, au niveau international, cette prise de conscience s’opère rapidement auprès de certaines élites qui s’étaient formées à ces questions dès avant-guerre, elle progressera ensuite, graduellement, essentiellement par des initiatives et l’action volontariste d’ organisations internationales et régionales en Europe telles que l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, et de deux organisations non gouvernementales, l’Union International pour la Protection de la nature (UIPN) créée en 1948 et le World Wildlife Fund (WWF), Fonds mondial pour la vie sauvage, créé en 1961. Ce lent processus trouvera son aboutissement vingt-cinq années plus tard, dans la désormais célèbre conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain de Stockholm en 1972 et, consécutivement, dans la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement.

On prête au président américain Harry Truman (1884-1972), d’avoir donné l’impulsion de départ lorsque, donnant ses consignes à son représentant au Conseil Économique et Social des Nations Unies, le 4 septembre 1946, il lui demande d’appeler solennellement l’attention des membres du conseil sur l’importance « que présente pour le maintien de la paix, la sauvegarde des ressources naturelles du monde » et de proposer la tenue d’une conférence spéciale. Sous la désignation de Conférence Scientifique des Nations Unies pour la Conservation et l’utilisation des ressources naturelles, elle se tint en 1949 à Lake Success, aux États-Unis, en même temps qu’une autre conférence décidée et préparée lors de la création de l’UIPN à Fontainebleau, organisée par l’UNESCO sous le nom de Conférence Technique Internationale pour la Protection de la Nature.

L’UNESCO en avant garde

C’est le premier directeur général de l’UNESCO, le biologiste britannique Julian Huxley (1887-1975), lui-même très préoccupé par les atteintes portées aux milieux naturels et par les déséquilibres mondiaux qui, durant son mandat (1946-1948), introduit la prise en compte de ces préoccupations par l’organisation, considérant « que la bataille ne pourra être gagnée que lorsque les masses et l’ensemble des élites auront été convaincus des dangers qui les menacent ». Les missions de l’UNESCO portant sur l’éducation, la science et la culture, il lui paraissait légitime de faire en sorte que ces trois leviers soient mis au service de la protection de la nature bien que celle-ci ne soit pas explicitement mentionnée dans ses attributions.

Les réflexions et réunions préparatoires à la création de l’Union International pour la Protection de la Nature (UIPN, aujourd’hui UICN) qui se déroulèrent à Brunnen, en Suisse à partir de 1946, lui donnèrent l’occasion d’impliquer l’UNESCO, les promoteurs de cette création ayant suggéré qu’elle le fût sous ses auspices. Ainsi, Julian Huxley, en apportant l’aide et la caution de l’UNESCO à l’officialisation de la création de l’UIPN à Fontainebleau, ouvrit la voie à une collaboration régulière des deux institutions et à la mise sur orbite de l’Union.

Durant son mandat qui ne dura que deux ans, il reçut mission de l’Assemblée générale de Mexico, en 1947, de participer à la préparation et aux délibérations de la future conférence des Nations Unies de Lake Success, mission qui fut complétée l’année suivante, lors de l’Assemblée générale de Beyrouth par la demande d’organiser une conférence technique internationale pour la protection de la nature sous les auspices de l’UNESCO.

Ces deux conférences qui se tinrent en 1949 en même temps, et au même endroit, s’observèrent et se répondirent l’une à l’autre, les deux institutions organisatrices ayant chacune leur vision sur les questions mises à leur ordre du jour respectif : conservation et utilisation des ressources naturelles pour le Conseil économique et social des Nations Unies, protection de la nature pour l’UNESCO. On avait déjà là, présents, mais non encore intégrés les trois « piliers » du développement durable qui sera conceptualisé dans le « rapport Brundtland » Notre avenir à tous, préparatoire au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992 : l’économie, le social et l’environnement… dans cet ordre !

Dans les années 1950 et 1960, l’action de l’UNESCO est multiforme sur ces questions, notamment sous l’influence d’un autre directeur général charismatique de l’organisation, le professeur de philosophie français René Maheu (1905-1974), qui la dirige de 1962 à 1974 et d’un autre français, l’ingénieur, physicien et juriste Michel Batisse (1923-2004) qui en sera le sous-directeur général pour les sciences. Cette action consiste tout autant à faire réaliser des études sectorielles, qu’à favoriser la création d’institutions scientifiques dédiées à la connaissance des milieux naturels, qu’à l’organisation de colloques tel celui de Beyrouth en 1954 sur la protection de la nature dans la région du Proche Orient. En 1962, l’UNESCO adopte une recommandation concernant « la sauvegarde de la beauté et du caractère des paysages et des sites ». En 1965, elle lance la revue Nature et ressources.

Avec son soutien, en 1966, est lancé par le Conseil International des Unions Scientifiques, le premier programme à envergure mondiale de recherches écologiques sur le fonctionnement des écosystèmes de la planète qui sera connu sous le nom de « Programme biologique international (PBI) ». Il s’achèvera en 1974 par une somme considérable de connaissances qui irrigueront plusieurs années durant, les réflexions sur la gestion et la conservation des ressources.

Mais c’est en 1968, avec la Conférence Intergouvernementale d’Experts sur les Bases Scientifiques de l’Utilisation Rationnelle des Ressources de la Biosphère que l’UNESCO organise à Paris, et qui sera présidée par un français, le docteur François Bourlière (1913-1993), que l’organisation atteint le plein développement de son action et de son influence en faisant avancer la réflexion sur l’utilisation des ressources naturelles et leur conservation et en la mettant à l’agenda de la conférence de Paris. Michel Batisse, qui est un des premiers à avoir pensé la gestion intégrée de l’environnement en est l’inspirateur et le secrétaire général. Il sera le « père » du programme MAB (Man and Biosphere), « l’Homme et la biosphère » que l’UNESCO lancera à la suite, en 1971, dont on commémore cette année le cinquantième anniversaire.

Parallèlement, cette année-là, le 2 février, l’organisation patronne la conférence dite de Ramsar en Iran qui adoptera la convention de même non sur la préservation des zones humides, l’une des toutes premières conventions internationales dédiée à la protection de la nature, dont on commémore aussi le cinquantième anniversaire cette année. Est inscrit pour la première fois dans un texte juridique international la préoccupation portée par Michel Batisse et l’UNESCO de ne plus séparer la conservation de l’utilisation (rationnelle) des ressources. Dans les considérants, les Parties contractantes considèrent que les zones humides « constituent une ressource de grande valeur économique, culturelle, scientifique et récréative dont la disparition serait irréparable ». Ayant affirmé cela, la convention dispose dans son article 3 que « les Parties contractantes élaborent et appliquent leurs plans d’aménagement de façon à favoriser la conservation des zones humides inscrites sur la Liste et, autant que possible, l’utilisation rationnelle des zones humides de leur territoire ».

Le tournant conceptuel dont ce texte témoigne, est illustré par les propos introductifs à la conférence de Paris qu’avait tenu le directeur général adjoint de l’UNESCO, représentant M. Maheu, absent pour raison de santé. Ils en donnaient le ton et l’objectif : « Au-delà de l’élaboration de méthodes scientifiques rationnelles de gestion du patrimoine naturel de l’humanité, la conférence doit créer un courant de « pensée écologique » parmi les savants, les politiques, et au sein du grand public afin de développer une meilleure compréhension des relations entre l’Homme et la nature en tant que partie du problème plus vaste des relations entre l’Homme et son environnement ».

Les questions mises au programme des conférences de 1949 et 1968 vont, à vingt ans d’intervalle, constituer le soubassement d’un questionnement plus large et plus profond qu’introduisent ces propos. À une réflexion sur les moyens scientifiques, techniques et juridiques de protéger la nature, va s’ajouter, voire se substituer, une réflexion sur les causes et les origines du saccage de la planète, pointant « la marche du monde » lancée dans une course éperdue pour la domination de la nature ayant pour conséquence l’épuisement des ressources naturelles. Ces questionnements abordés dans la conférence de Paris, vont ensuite migrer vers celle de Stockholm qui se prépare déjà à ce moment-là.

Succédant à l’euphorie des deux premières décennies d’après-guerre, une question commence à monter dans la société et auprès de certains dirigeants de grands organismes internationaux : comment faire face aux déséquilibres mondiaux qui se sont creusés entre pays développés et pays sous-développés ? Comment penser une nouvelle croissance plus respectueuse des équilibres humains et environnementaux ? Pour investir et tenter d’apporter des réponses à ces questions, Alexander King (1909-2007), alors directeur général pour l’éducation et la science à l’OCDE et Aurelio Peccei (1908-1984), cadre et administrateur de la firme italienne FIAT, créent cette même année 1968, un groupe informel de recherche et de proposition. Ce groupe, qui se fera connaître sous le nom de « Club de Rome », connaîtra un énorme succès de librairie avec, en 1972, la publication du rapport The Limits to Growth, dit rapport Meadows du nom de son principal rédacteur (qui sera traduit dans l’édition française par l’interrogation Halte à la croissance ?). À l’instar d’un Julian Huxley, empreint de pessimiste sur la fin de sa vie, les auteurs y prédisent que si rien n’est entrepris pour stabiliser à terme le système mondial de production et de consommation, la croissance matérielle sans limite conduira tôt ou tard à son effondrement.

L’OTAN s’en mêle !

Ces défis environnementaux qui étaient à l’agenda des discussions au sein de la communauté internationale, à ce moment-là, même l’OTAN s’en préoccupa à partir de 1969 en créant un Comité sur les défis de la société moderne (CDSM). Il travailla sur ces questions en application de l’article 2 du Traité de l’Atlantique Nord qui stipule que « les parties développent les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être » de ses membres. Il constitua jusqu’en 2006 « un lieu d’échange de connaissances et d’expériences sur les aspects techniques, scientifiques et stratégiques des questions sociales et environnementales qui se posent, dans les secteurs, tant civil, que militaire, parmi les pays de I’OTAN ». Des personnalités françaises comme Serge Antoine (1927-2006), y représentèrent la France et participèrent à ses travaux. Le rôle du comité était de superviser le Programme de I’Alliance pour l’environnement et la société, créé le 28 janvier 1970, notamment en matière de pollution, du bruit, des problèmes urbains, de l’énergie, de la santé et des problèmes d’environnement liés à la défense.
Deux autres institutions internationales multilatérales se préoccupèrent de la question environnementale dès les années 1970.

La première à devoir être citée est l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) qui a succédé en 1961 à l’organisation en charge de mettre en œuvre le plan Marshall en Europe. Elle accompagnera les pays membres dans l’élaboration et l’évaluation de leur politique en matière d’environnement, notamment par la rédaction de rapports périodiques sur leurs performances environnementales. Elle étudiera particulièrement les liens entre l’environnement et les préoccupations économiques, sectorielles et sociales de l’organisation. Depuis 1971, ces travaux sont conduits sous l’égide de son Comité de politique environnementale composé de représentants de haut niveau des pays membres.

La seconde est la Commission Économique pour l’Europe des Nations Unies (CCE-ONU). Établie en 1947 pour encourager la coopération économique entre l’Ouest et l’Est, elle en vint, elle aussi, à s’intéresser aux problèmes environnementaux, particulièrement aux pollutions atmosphériques transfrontières à longue distance. Son action aboutira à l’élaboration d’une convention en 1979 pour principalement limiter les émissions de dioxyde de soufre responsables du phénomène dit des « pluies acides », laquelle sera suivie par la signature de huit protocoles spécifiques à d’autres polluants atmosphériques. Via son comité des politiques environnementales mis en place en 1971, elle lança de nombreux sujets de coopérations, notamment transfrontaliers, puis diversifia son action dans les années 1990 : lancement du processus « Un environnement pour l’Europe », établissement d’une stratégie paneuropéenne de la diversité biologique et création d’un réseau écologique, élaboration de la convention d’Arhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, etc. Elle jouera en partie le rôle de l’OCDE pour évaluer les politiques des pays qui n’en étaient pas membres.

Le Conseil de l’Europe : pionnier sur la scène européenne

Au plan européen, le Conseil de l’Europe est la première organisation intergouvernementale à mettre la question de l’environnement à son agenda avec la constitution d’un Comité Européen pour le Sauvegarde de la Nature et des Ressources naturelles dès 1962. Son mandat le disposait à appréhender et à lutter contre les pollutions de l’eau et de l’air, à réglementer la fabrication et l’usage des pesticides, à encourager la création de parcs et de réserves, à protéger la faune et la flore et à promouvoir l’éducation et l’information des européens.

En 1965, il innova en créant le diplôme européen des aires protégées qu’il délivre aux aires protégées remarquables pour les valeurs naturelles qu’elles abritent et qui sont bien gérées. La réserve zoologique de Camargue créée et gérée par la Société Nationale de Protection de la Nature en fut la première bénéficiaire. En 1968 il adopta une déclaration sur la pollution de l’air aux recommandations ambitieuses pour l’époque et une charte européenne sur l’eau qui inspira de nombreuses législations nationales.

Mais c’est sans conteste la conférence qu’il organisa à Strasbourg du 9 au 12 février 1970 dans le cadre de la première année européenne de la protection de la nature, qui restera dans la mémoire de son action comme celle qui, tout à la fois, clôtura la période d’incubation et d’apprentissage des européens aux questions environnementales et ouvrira sur une nouvelle ère, celle de l’institutionnalisation de ces questions dans la politique interne des États membres. Elle se conclut par l’adoption par toutes les parties prenantes, nombreuses à y participer, d’une déclaration comportant une trentaine de recommandations dont celle de mettre en place des ministères de l’Environnement.

Et l’Union européenne ?

Le lecteur peut s’interroger sur l’absence de mention de la Communauté Économique Européenne (CEE), dans ce panorama. En réalité, la CEE ne commencera à réfléchir et à s’approprier la question de l’environnement qu’à partir de la toute fin des années 1960, et en pratique, après la conférence de Stockholm de 1972. C’est en raison du fait que certaines mesures de protection de l’environnement prises unilatéralement par des États membres pouvaient engendrer des distorsions au sein de la politique commerciale et de la concurrence de la CEE, et ainsi porter atteinte au bon fonctionnement du Marché commun, que la CEE s’empara de la question environnementale. Mais le Traité de Rome ne prévoyait aucune compétence de la Communauté pour légiférer en cette matière. En même temps, du fait de sa participation à des organisations internationales, et à des conférences, telle celle de Stockholm, la Commission était tenue à ce que la CEE soit réellement représentée ce qui nécessitait une coordination des positions nationales avec celle de la Communauté, et cela posait problème.

En février 1971, la Commission créa un groupe de travail ad hoc chargé de définir et de proposer une politique environnementale dans la Communauté. Les travaux, dirigés par le commissaire européen Altiero Spinelli (1907-1986) donnèrent lieu à une première communication de la Commission en août 1971 sur une politique communautaire sur l’environnement, suivie d’une seconde communication en mars 1972 proposant un programme d’action pour l’environnement, lequel sera adopté le 22 novembre 1973.

Ce premier programme, dont le contenu était axé sur la lutte contre les pollutions, et les trois suivants (1977, 1983, 1987) comportaient chacun un ensemble d’actions et de recommandations non contraignantes pour les États membres. Pour aller plus loin dans l’intégration de l’environnement aux politiques de la Communauté et la mise en place d’une législation communautaire de l’environnement, il manquait une base juridique, absente du Traité de Rome.

Dans un premier temps, pour contourner la difficulté et légitimer l’adoption des premières directives et règlements communautaires en matière d’environnement, dont, par exemple, la directive « Oiseaux » de 1979, et celle de « Seveso » en 1982, la Commission et les États membres firent appel à l’article 235 du Traité, celui-ci stipulant : « Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du Marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation de l’Assemblée, prend les dispositions appropriées ». L’entrée en vigueur de l’Acte unique le 1er juillet 1987 remédia à cet état de fait en introduisant explicitement l’environnement dans les traités et les institutions communautaires. Ainsi, par son article 100 « la Commission, dans ses propositions (…) en matière (…) de protection de l’environnement (…) prend pour base un niveau de protection élevé » et l’article 130 R, de son côté dispose que les « exigences en matière de protection de l’environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté » et détaille précisément sa mise en œuvre. Par la suite, en 1992, le traité de Maastricht établira formellement le concept de développement durable dans la législation de l’Union européenne dont l’application sera renforcée par le traité d’Amsterdam en 1997.

L’union fait la force !

La création de l’Union International pour la Protection de la Nature (UIPN) en 1948, est la concrétisation d’un projet dont le père fondateur est le naturaliste suisse Paul Sarasin (1856-1929), le créateur du parc national suisse en 1914. Lui rendant hommage à Fontainebleau, le premier président de l’Union dira de lui : « Penseur et savant, il s’était rendu compte de l’inutilité des efforts dispersés, de la nécessité de coordonner les mesures prises dans les différentes parties du Globe, afin de conserver la flore et la faune menacées par l’action « civilisatrice » de l’Homme ». L’initiative qu’il avait prise en 1913 pour mettre sur pied une institution intergouvernementale ad hoc fut stoppée par la Première Guerre mondiale et n’eut pas immédiatement de lendemain, la paix revenue.

La structure mise en place à Fontainebleau correspondait à l’idée que s’en était faite Paul Sarasin avec la réunion de gouvernements et d’organisations de la société civile dans le but partagé d’encourager la coopération internationale et de fournir des connaissances et des outils scientifiques pouvant orienter les États à prendre des mesures de conservation de la nature.

Pendant les deux premières décennies de son existence, durant lesquelles la France exerça son influence au travers de deux présidents charismatiques, Roger Heim de 1954 à 1958 et François Bourlière de 1963 à 1966, l’UIPN s’est préoccupé de la protection des espèces et des milieux naturels nécessaires à leur survie et des effets des activités humaines sur la nature ; s’alarmant notamment des effets nocifs des pesticides, dont le DDT, sur la faune et la flore et luttant pour son interdiction. Dès 1949, elle avait publié une première liste d’espèces menacées comportant quatorze espèces de mammifères et treize espèces d’oiseaux. En 1964, grâce aux données collectées par son réseau international, elle était en mesure de dresser une première « liste rouge » des espèces mondialement menacées. En 1956, l’année où elle changea de nom, elle publia un atlas des parcs et réserves dans le monde. Comme cela a déjà été mentionné, elle coopéra étroitement avec l’UNESCO.

L’argent fait la conservation

Le défaut de l’organisation ainsi mise en place - car elle en avait un - était de ne disposer d’aucune ressource, les gouvernements s’étant assurés de n’encourir aucune obligation financière au moment de sa fondation. L’UIPN, qui s’était installée à Bruxelles à sa création, décida en 1960, de déménager ses bureaux en Suisse, à Morges, petite ville du canton de Vaud, au bord du Léman. Mais elle était à ce moment-là désargentée et accusait un sérieux déficit.

Si on prête à ces difficultés financières les raisons qui motivèrent initialement la création du WWF, il y en avait d’autres dans l’esprit de l’ornithologue britannique Max Nicholson (1904-2003) qui a été l’artisan de sa fondation avec notamment Julian Huxley. Nicholson parcourait le monde, l’Afrique en particulier, et il était très inquiet, avec d’autres naturalistes et conservationnistes de l’époque, de l’impact que pourrait avoir la décolonisation en marche sur le maintien des mesures de protection acquises. Son idée était que les États nouvellement indépendants puissent valoriser et tirer parti par le tourisme des parcs et réserves dont ils héritaient mais cela nécessité de pouvoir les aider financièrement. Or, ni l’UICN ni l’UNESCO ni les Nations Unies n’étaient en mesure d’y pourvoir. L’autre idée de Nicholson était de soutenir financièrement des projets de conservation de la nature, des espèces animales menacées en particulier en suscitant la création d’un fonds alimenté par des dons privés issus du monde des affaires.

Durant l’année 1960, il discuta de la faisabilité de son projet avec d’autres militants et experts soutenant cette cause à travers le monde. Puis tout alla finalement très vite. En avril de l’année suivante, le conseil d’administration de l’UICN adopta le « plan Nicholson » qui prévoyait la création d’une fondation de droit suisse pour collecter et administrer des fonds. Cette décision sera connue plus tard sous le nom de « Manifeste de Morges » faisant l’objet d’une déclaration internationale intitulée : « Nous devons sauver la nature dans le monde ». Parmi les seize signataires, il y avait un français, François Bourlière, le précédent président de l’UICN.

En 1967, le WWF, présidé par S.A.R. le prince Bernard des Pays-Bas, organisa à Amsterdam le congrès « La nature et l’Homme » qui rassembla 300 délégués en provenance d’une quinzaine de pays. On y débattit notamment de l’évolution du concept de conservation de la nature qui, de la « mise sous cloche » devait tendre vers une protection plus ouverte et plus dynamique, notamment en Afrique.
Les discussions portèrent aussi sur les moyens de faire face aux « maladies de la civilisation » dues à l’environnement artificialisé des agglomérations industrielles. Le professeur Bourlière qui s’y exprimait au titre de la France y déclara : « la Nature elle-même aidera à préserver la plus estimable des ressources naturelles dans les agglomérations urbaines, l’Homme lui-même » ; ce qui, cinquante ans plus tard, donnera le concept des « Solutions fondées sur la nature » mis en avant par l’UICN selon la définition qu’elle en donne aujourd’hui : « Nous nous fions à la nature et à la capacité des écosystèmes sains pour protéger les personnes, améliorer les infrastructures et assurer la richesse et la stabilité de la biodiversité à l’avenir ». Le congrès conclut ses travaux par l’adoption de la Déclaration d’Amsterdam…et en lançant un « appel au monde ».

En 1971, dix années après sa création, le WWF, dressant le bilan de son action, s’honorera d’avoir levé plus de 43 millions de francs et financé plusieurs centaines de projets dans 60 pays.

Sauvez les parcs nationaux. Vanoise d’abord !

On vient de le voir, cette prise de conscience des problèmes environnementaux fut un long chemin. Au départ, au lendemain de la fin de la guerre et les années suivantes, elle est le fait d’élites agissant principalement dans les cercles d’influence des institutions présentées ci-dessus. Ensuite, dès les années 1960, elle percola et infusa dans de plus en plus larges pans de la société, notamment au travers de l’action des déjà nombreuses associations de protection de la nature et de l’environnement.

Pour la France, la démonstration de cette prise de conscience peut en être apportée par « l’affaire de la Vanoise » qui verra, à l’instigation des associations de protection de la nature et de nombreuses personnalités, se mobiliser la population pour défendre l’intégrité du parc national de la Vanoise lorsque la station de sports d’hiver de Val Thorens voulut s’étendre sur le glacier de Chavière et le vallon de Polset. De 1969 à 1971, l’indignation, le tollé général et les pétitions pour s’y opposer furent d’une ampleur sans précédent. La Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN) diffusa 500 000 exemplaires d’un numéro spécial « Vanoise » du Courrier de la Nature et doubla le nombre de ses membres. La pétition « Sauvez les parcs nationaux. Vanoise d’abord ! », lancée par la jeune Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN) et soutenue par une campagne de presse animée par Jean Carlier (1922-2011), alors directeur de l’information sur la radio RTL recueillit plus de 200 000 signatures.

Après de multiples tergiversations gouvernementales et rebondissements, le président Georges Pompidou donna lui-même l’instruction de stopper le projet au mois de juin 1971. On notera que cette affaire a été aussi, pour Robert Poujade, son baptême du feu, révélant, en la circonstance, sa détermination à assumer ses nouvelles responsabilités de ministre chargé de la Protection de la Nature et de l’Environnement. Jean Carlier qui l’interrogeait sur les promoteurs du projet qui ne voulaient pas lâcher prise, se vit répondre : « S’ils ne comprennent pas, je vais leur rentrer dedans. Qu’est-ce que je risque ? De n’être plus ministre ? Tant pis. Si je dois vivre avec mauvaise conscience, j’aime mieux faire autre chose ».

Pour dire vrai, il n’est pas tout à fait exact de citer « l’affaire de la Vanoise » comme étant la première grande manifestation de l’opinion publique française à faire connaître son opposition à des aménageurs. Entre 1953 et 1963, la création de l’autoroute du Sud, et spécialement son tracé dans la forêt de Fontainebleau déclencha une forte opposition conduite, notamment, par la Société des amis de la forêt, le Muséum avec à sa tête Roger Heim, la SNPN présidée par Roger de Vilmorin, et le journaliste Nicolas Strotsky qui lança une campagne de presse. Ils entraînèrent et coalisèrent derrière eux les cinq académies de l’Institut de France, notamment, et une kyrielle de personnalités pour demander le contournement de la forêt. En vain… ou presque, les ingénieurs des Ponts et Chaussées acceptant, finalement, de passer en lisière de la forêt domaniale mais occasionnant tout de même une coupure avec le massif des Trois Pignons.

Après la catastrophe due à la rupture du barrage de Malpasset en 1959, celle survenue sur le site pétrolier de Feyzin en 1966, le naufrage du pétrolier Torrey Canyon l’année suivante, qui, « faisant couler beaucoup de pétrole, a fait couler beaucoup d’encre », et cette « affaire de la Vanoise », la cause de l’environnement et de la protection de la nature acquiert en France une visibilité médiatique dont deux des signes révélateurs sont, la création de l’association française des journalistes et écrivains pour la nature en 1969, à l’instigation, notamment, de Pierre Pellerin (1920-2001) et l’ouverture d’une rubrique « environnement » dans le journal Le Monde, un peu plus tard, en 1972, confiée à Marc Ambroise-Rendu. En témoignent aussi les succès de l’émission de télévision La France défigurée de Louis Bériot (1939-2019) et Michel Péricard (1929-1999) diffusée de 1971 à 1978 sur la seconde puis sur la 1ère chaîne de l’ORTF.

L’entrée en scène de lanceurs d’alerte …

Succédant à de nombreuses alertes lancées et renouvelées depuis la seconde moitié du XIXe siècle, ce cri, « La nature n’en peut plus » est poussé, depuis une vingtaine d’années déjà, par de nombreuses personnalités des sciences et des lettres, par les nombreuses associations de protection de la nature, mais aussi par un noyau avant-gardiste de hauts fonctionnaires, de responsables de grands organismes nationaux, publics et privés appartenant à la même élite technocratique déjà citée et par quelques rares hommes politiques visionnaires ; les partis politiques restant, quant à eux, à l’écart de ces préoccupations. Tous ne cessent de tirer les sonnettes d’alarme sur les dangers que fait courir à la nature et au-delà d’elle, aux humains, « la technique qui devrait le servir au lieu de l’asservir », avait déjà énoncé Eugène Claudius Petit (1907-1989), ancien ministre, le 6 novembre 1957, en présidant l’assemblée constitutive des parcs de France avec l’écrivain Georges Duhamel (1884-1966).

À titre d’illustration, citons quelques ouvrages, et leur auteur, qui alertèrent très tôt sur cette situation et qui constituent encore aujourd’hui des références.

Outre le livre de Rachel Carson, déjà cité, le premier d’entre eux à paraître après la guerre, en 1948, est celui du naturaliste américain Henry Fairfield Osborn (1887-1969). Sous le titre français La planète au pillage, il est le premier à alerter sur le caractère global et mondial d’une crise qu’il voit venir pour l’humanité et qui, selon lui, conduira à sa destruction.

Le second, et premier d’un auteur français, portant le titre de Destruction et Protection de la Nature, est à attribuer à Roger Heim en 1952, alors qu’il était directeur du Muséum National d’Histoire Naturelle et vice-président de l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (aujourd’hui l’UICN).
Le troisième fut un best-seller publié en 1965, traduit dans une vingtaine de langues et réédité plusieurs fois : Avant que nature meure. Il est l’œuvre de Jean Dorst (1924-2001), alors professeur au même Muséum National d’Histoire Naturelle, avant qu’il en devienne le directeur.

Le quatrième et dernier est un ouvrage plus grand public de sensibilisation aux diverses atteintes menaçant l’équilibre de la nature écrit la même année par Michel-Hervé Julien (1927-1966), un ornithologue breton, et l’un des pères fondateurs de la Société d’Étude et de Protection de la Nature en Bretagne. A travers ce petit livre, L’homme et la nature, dans lequel il explique le « pourquoi » et le « comment » de la protection de la nature, il montre sa vision humaniste des questions environnementales et leur acuité sur l’ensemble de la planète.

Ces ouvrages se diffusent dans les réseaux associatifs et militants, sensibilisant d’autres compartiments de la société et le grand public.

On ne saurait clore cette liste de personnalités pionnières, sans mentionner l’agronome et biologiste franço-américain René Dubos (1901-1982) et l’économiste britannique Barbara Ward (1914-1981), co-auteurs du rapport préparatoire de la conférence des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm en 1972 dont ils avaient été chargés par le secrétaire général, Maurice Strong (1929-2015) dès 1968. Ce rapport, intitulé « Only One Earth », « Nous n’avons qu’une Terre », fut le fil conducteur, la « Bible » des débats, en fournissant un panorama « des problèmes fondamentaux que posent les relations entre l’homme et son habitat naturel, à un moment où les activités de l’homme exercent sur l’environnement des effets importants ». Il avait aussi pour objectif de sensibiliser l’opinion publique mondiale, et c’est la raison pour laquelle il fut traduit et qu’il parut, la même année, en huit langues et eu un fort retentissement.

D’autres auteurs et penseurs de l’époque prônèrent, eux, un changement radical civilisationnel en mettant en cause le progrès technologique et les trajectoires de la société au regard des questions environnementales. Hans Jonas (1903-1993), René Dumont (1904-2001), Robert Hainard (1906-1993), Bernard Charboneau (1910-1996), Jacques Ellul (1912-1994), Barry Commoner (1917-2012), André Gorz (1923-2007), Serge Moscovici (1925-2014), Pierre Fournier (1937-1973), notamment, furent de ceux-là.

D’une autre façon, c’est par le roman, Les racines du ciel, publié en 1956, qu’un auteur comme Romain Gary (1914-1980), en mettant en scène son personnage Morel - un défenseur des éléphants en Afrique - fait de la protection de la nature et de l’humanité, solidairement, la nouvelle cause à promouvoir.

La pensée de ces personnalités et, pour certaines, leur activisme, sont à associer à une autre rupture qui se produit lors de ce tournant des années 1969-1970. À une approche naturaliste traditionnelle, plutôt réformatrice, jusqu’alors défendue majoritairement par les associations de protection de la nature, les biologistes et les naturalistes, s’ajoute et quelquefois s’oppose, dès la fin des années 1960, paradoxalement en France, en déconnexion des mouvements qui ont fait « Mai 68 », une approche politique dite « écologiste » portée par une nébuleuse hétéroclite de mouvements prônant une société postindustrielle, qui n’acquerra une certaine visibilité qu’à partir de la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974, et de l’opposition de ces mouvements au lancement du programme électronucléaire du gouvernement Messmer et à l’extension du camp militaire du Larzac.

Mais l’avancée décisive de la conscientisation de la société aux questions environnementales proviendra, de façon inattendue, d’un regard extérieur et éloigné porté sur notre planète. Ce sont les missions Apollo des années 1960 et celle, mémorable de 1969 qui a vu l’alunissage des astronautes américains Neil Armstrong (1930-2012) et Buzz Aldrin, qui ont révélé aux Hommes la finitude de la Terre qu’ils habitent, sa fragilité et la responsabilité de l’humanité pour en conserver sa beauté et ses caractéristiques écologiques pour qu’elle demeure vivable.

L’influence de la contre-culture américaine

Il est devenu habituel d’identifier l’acte de naissance de cette prise de conscience « écologiste", au sens politique qu’elle a aujourd’hui à l’instauration de la première « Journée de la Terre » le 22 avril 1970 aux États-Unis par Gaylord Nelson (1916-2005), alors sénateur démocrate du Wisconsin. Cette journée arrive, en pleine guerre du Viêt Nam, comme en apothéose de l’action des mouvements qui agitent la société américaine depuis le début des années 1960. L’année précédente, du 15 au 18 août 1969, s’était tenu le célèbre festival de Woodstock qui avait rassemblé une foule énorme de 500 000 jeunes. Cet évènement reste comme l’un des moments forts de diffusion de cette contre-culture américaine portée par les mouvements et communautés hippies qui des États-Unis parvint en Europe et en France et essaima ailleurs dans le reste du monde.

Ainsi, en cette fin des années 1960, s’est opérée une sorte de percolation croisée faisant naître une conjonction entre les aspirations pacifiques, libertaires et opposées à la société de consommation de la jeunesse américaine, et les alertes « environnementales » portées en ce temps-là, notamment par Rachel Carson qui rendait responsable dès 1962, l’industrie chimique des atteintes à la santé humaine et aux écosystèmes auxquelles s’ajoutaient des pollutions de l’air et de l’eau bien visibles.
C’est donc dans ce contexte que le président Georges Pompidou décide la création du ministère de la protection de la nature et de l’environnement.

Mais pourquoi créer un ministère ? Est-ce à dire que la cause énoncée dans son intitulé était antérieurement absente de l’action gouvernementale, qu’elle était orpheline de politiques publiques ? Les réponses à donner à ces questions ne sont pas binaires, et il a déjà été apporté un début de réponse en mentionnant que la croissance obtenue durant les « Trente Glorieuses » avait été facilitée par son découplage des préoccupations environnementales.

« L’An 01 » de la protection de la nature

S’agissant de ces préoccupations envers la nature, si on ne rappelle pas leurs origines, remontant au moins au XIXe siècle, il convient de remarquer que durant l’entre-deux-guerres, si sur le terrain, en France métropolitaine du moins, la protection de la nature resta rudimentaire, malgré l’intervention de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des sites, et les initiatives prises par la Société nationale d’acclimatation de France dans la création de réserves naturelles (Camargue, Néouvielle, Lauzanier…), le mouvement international en faveur de la protection de la nature qui avait pris naissance avant la Première Guerre mondiale, se réenclencha à l’initiative d’associations et de personnalités françaises fort actives dans ce domaine.

En 1923, la Société nationale d’acclimatation, la Ligue française pour la protection des oiseaux et la Société pour la protection des paysages de France organisèrent avec le Muséum national d’histoire naturelle, le premier Congrès international pour la protection de la nature sous la présidence du directeur du Muséum, Louis Mangin (1852-1937). Le congrès dont la cheville ouvrière était l’agronome et juriste Raoul de Clermont (1863-1942), l’un des premiers pionniers français de la protection de la nature, fut un grand succès tant par le nombre de participants (300), de pays représentés (17) que par les nombreux échanges et propositions auxquels il a donné lieu, marquant le véritable point de départ de l’internationalisation de ces préoccupations de protection de la nature.

En 1931, la France récidiva en accueillant un second Congrès international au Muséum. Présidé, cette fois, par le professeur Abel Gruvel (1870-1941) mais toujours avec la participation active de Raoul de Clermont, les congressistes inscrivirent plusieurs sujets à leurs discussions qui trouvèrent des réponses bien plus tard. On peut ainsi citer le souhait de voir se mettre en place une organisation internationale permanente de protection de la nature. Celle-ci finira par voir le jour en 1948 à Fontainebleau. Le congrès se préoccupa aussi des impacts du trafic et du commerce des espèces menacées et émit le vœu qu’une convention internationale puisse en réglementer le commerce, ce que réalisera la convention de Washington en 1973.

En 1933, avec la contribution d’une vingtaine de spécialistes, la plupart acteurs de ces deux congrès, la Société française de biogéographie lança une enquête sur la création des parcs nationaux et des réserves dans le monde pour en tirer des enseignements destinés à « éclairer les pouvoirs publics sur les mesures à prendre dans l’avenir » à leur sujet.

Rappeler ces évènements a pour but de montrer la continuité qui s’opère après 1945 entre ceux-ci et l’action qui va de nouveau être engagée par nombre de ces mêmes personnalités pour, la paix revenue, tenter de mettre ces préoccupations à l’agenda gouvernemental et plus généralement dans la sphère publique.

Ainsi, dès 1946, alors que l’on peut imaginer, dans les circonstances du moment, que le gouvernement avait des décisions plus impérieuses à prendre, fut institué par décret signé des ministres de l’Éducation nationale, de l’Intérieur et de l’Agriculture, un Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) chargé de « donner un avis [au Gouvernement] sur les mesures propres à assurer la protection et l’aménagement en parcs nationaux et en réserves des parties du territoire […] qui par leurs conditions de milieux, constituent des formations ou des stations d’un intérêt scientifique ou technique remarquable ».
C’est à la même époque, comme on l’a mentionné, avec ces mêmes personnalités, que l’on trouve la France à la manœuvre pour encourager l’institution de l’UIPN et en accueillir la création.

Par la suite, ces préoccupations environnementales, outre qu’elles sont débattues au Conseil national de la protection de la nature, seront principalement portées par deux petits groupes de fonctionnaires qui, tout en assurant des perméabilités entre eux, agiront principalement, l’un et l’autre au sein de deux administrations dans l’appareil d’État : le premier, chronologiquement parlant, à la direction générale des Eaux et Forêts du ministère de l’Agriculture et le second à la DATAR ; les deux principaux autres acteurs étant, l’un public, le Muséum National d’Histoire Naturelle et l’autre privé, la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN).

L’un des premiers soucis de ces précurseurs, à l’instar de leurs homologues de l’UNESCO ou de l’UIPN, fut de sensibiliser l’opinion publique et les enseignants, de former des propagateurs de ces idées et de persuader les autorités d’agir. A titre d’illustration, il faut citer l’instruction du 23 avril 1953 du directeur général des Eaux et Forêts, François Merveilleux du Vignaux (1902-1982). Il attirait spécialement l’attention des conservateurs des Eaux et Forêts sur l’intérêt d’une « propagande active en faveur de la protection de la nature » et insistait sur l’opportunité pour les ingénieurs chargés de cours dans les écoles normales « d’inclure dans leur programme d’enseignement une leçon spécialement consacrée à développer cette notion de base qu’est le respect dû aux choses de la nature ». Il récidivait le 11 juin de la même année en leur diffusant une leçon-type consacrée à « la protection de la nature, à sa nécessité et à ses avantages ».

L’une des raisons de ce choix tactique était que l’administration des Eaux et Forêts avait bien peu de moyens juridiques et financiers à sa disposition pour lancer et assurer des actions réelles de conservation sur le terrain en dehors des forêts domaniales ; et les richesses naturelles - on dirait aujourd’hui la « biodiversité » - du pays étaient mal connues.

En 1955, dans le but, justement, de sensibiliser le public, le Muséum National d’Histoire Naturelle organisa une exposition intitulée L’Homme contre la nature qui remporta un très grand succès et, avant de devenir itinérante, resta plusieurs années en tête de classement pour le nombre de visiteurs qu’elle attira. Dans la foulée, le Muséum créa une chaire d’écologie générale et de la protection de la nature et, en 1962, toujours à l’initiative de son directeur, Roger Heim, mettra en place un service de conservation de la nature confié à Georges Tendron.

Quant à la SNPN, l’ancienne société zoologique d’acclimatation, vénérable institution à caractère scientifique du XIXe siècle, qui avait eu ses heures de gloire durant la période coloniale, lorsque ses travaux scientifiques étaient orientés vers l’introduction et la domestication d’animaux exotiques, elle allait entreprendre sa seconde mue après la première qu’elle avait amorcée au tournant du XXe siècle, en orientant déjà certaines de ses activités vers la protection de la nature ; activités et actions qu’elle développera après la guerre, jusque dans les années 1930. Elle va se relancer avec l’arrivée à sa présidence en 1952, de Roger de Vilmorin (1905-1980), descendant de la célèbre famille de botanistes et semenciers.

Sous sa férule et celle de son fils, Jean-Baptiste, qui en devient le directeur en 1959, la SNPN rénove ses pratiques et son action. Fort de sa notoriété et de ses appuis, et conscient par l’expérience qu’il avait acquise en parcourant la planète, que le monde était en train de changer, Roger de Vilmorin entreprit de faire de même avec la « vielle dame » qui était alors isolée et n’était plus écoutée des décideurs politiques. Ils lui firent progressivement - car il y avait des résistances internes - modifier son image, et ils la sortirent de son isolement, n’hésitant pas à rechercher le dialogue avec les responsables de l’aménagement du territoire, bêtes noires honnies des protecteurs de la nature. Pour lui faire mettre l’accent sur les activités de protection, ils finirent par obtenir, en 1960, qu’elle modifiât son nom en inversant l’ordre des mots, plaçant « protection » en premier, et « acclimatation » en second.

De même, usant de sa proximité avec André Malraux, qui était alors ministre de la Culture, et sensible à la nature et à sa préservation, Roger de Vilmorin plaida auprès de lui la nécessité, qu’il voyait, de relancer l’idée de protéger de grands espaces de nature en montagne, à l’instar de ce qui s’était déjà fait dans de nombreux pays. Il concourra ainsi à faire adopter la législation sur les parcs nationaux de 1960 et entraîna la SNPN à soutenir le projet de loi et les projets de parcs nationaux, dont celui de Port-Cros.
La société faisait paraître depuis 1931, à destination des spécialistes la revue scientifique La Terre et la Vie, sous-titrée Revue d’Histoire Naturelle. Lors de l’adoption de son nouveau nom en 1960, elle en profita pour changer le sous-titre en Revue d’écologie appliquée à la conservation de la nature, signifiant ainsi son changement d’orientation.

Dans le même état d’esprit, le tandem Vilmorin voulut aussi que la société se tournât vers le grand public pour communiquer, l’informer sur la nature et les enjeux de sa protection. Ils eurent l’idée de publier une revue bimestrielle, Le Courrier de la Nature, ayant aussi pour objet de constituer un lien entre ses membres. Le premier numéro servit d’ailleurs de guide de l’exposition sur la protection de la nature que la SNPN organisa au sein du Salon international de la Nature dans le cadre de la Foire de Paris de 1961. Dès les premiers numéros, pour initier les lecteurs à la science écologique, le professeur Pierre Aguesse, y publia une série d’articles intitulés : « Qu’est-ce que l’écologie ? ».

Au cours de cette décennie des années 1950, plus encore dans celle des années 1960, dans cette France des Trente Glorieuses qui voyait s’ouvrir des chantiers d’aménagement un peu partout dans l’Hexagone, faisant naître des contestions en raison des dégâts potentiels ou occasionnés, le mouvement en faveur de la connaissance et de la protection de la nature pris de l’ampleur, se régionalisa et se structura. C’est ainsi que se créèrent les premières associations de protection : la Société pour d’Étude et la Protection de la Nature en Bretagne (SEPNB) à l’initiative de Michel Hervé Julien, associé à Albert Lucas en 1958, fut l’une des toutes premières. De nombreuses autres sociétés, généralistes ou spécialisées, virent le jour à cette occasion mais elles avaient du mal à communiquer entre elles et à coordonner leurs actions. La SNPN fut la première à lancer un appel à l’union des protecteurs à l’initiative de son nouveau président, François Hüe, en 1967, dans un numéro du Courrier de la nature et elle ouvrit dans la foulée les colonnes de la revue aux autres sociétés. Un an plus tard, dix-huit de ces sociétés se constituaient avec la SNPN en Fédération Nationale des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN), laquelle changea son nom d’origine pour France-Nature-Environnement en 1990.

Sur le plan de l’enseignement supérieur, c’est plus tard, en 1969, que fut organisé un enseignement de 3e cycle orienté vers les problèmes de protection de la nature au sein du laboratoire de zoologie de la faculté des sciences d’Orléans par le professeur Pierre Aguesse. Cette réalisation fut permise par la loi d‘orientation de l’enseignement supérieur du 7 novembre 1968 qui permettait d’organiser des enseignements interdisciplinaires, indispensables, dans le cas d’espèce, à l’approche des problématiques environnementales.

La même année, le professeur Vincent Labeyrie (1924-2008) fondait le Centre d’études supérieures en aménagement (CESA) à Tours, le premier établissement d’enseignement supérieur destiné à former des spécialistes de l’aménagement du territoire.

Dans le même temps, un groupe de quatre-vingt-dix scientifiques, issus de plusieurs disciplines, créent cette même année 1969, la Société Française d’Écologie (SFE) dans le but d’encourager et de développer des études écologistes et de favoriser la constitution d’équipes pluridisciplinaires. Cette initiative date l’institutionnalisation tardive en France de la science écologique.

Le ministère de l’Agriculture, de son côté, ouvre en 1970, un enseignement de techniciens supérieurs « Protection de la nature » au lycée agricole de Neuvic d’Ussel en Corrèze dans le but de former des agents de terrain pouvant mettre leur capacité d’agir en cette matière auprès de divers établissements et organismes (parcs naturels, collectivités, agences, bureaux d’étude, associations, etc.).

Des parcs nationaux « à la française »

Alors que de fortes pressions s’exerçaient sur les espaces et milieux naturels, la direction générale des Eaux et Forêts du ministère de l’Agriculture reçut du gouvernement la mission de trouver des solutions pour y faire face. Elle s’organisa en conséquence en confiant cette tâche en 1955, à un chargé de mission, Yves Bétolaud (1926-2003), puis à partir de 1957 en constituant une division de la Protection de la Nature avec deux autres ingénieurs, Bernard Fischesser et André Soubeiran, qui fut ensuite transformée en sous-direction de l’Espace Naturel en 1965 dans le cadre de la réforme du ministère de l’Agriculture conduite par Edgar Pisani (1918-2016).

Les outils juridiques spécifiques de protection des espaces naturels faisant défaut, il fut tout d’abord proposé d’étendre la possibilité de classement des monuments naturels et des sites, offerte par la loi du 2 mai 1930 aux sites revêtant un intérêt scientifique pour les ériger en réserves naturelles. Ceci fut fait en 1957 avec l’adjonction d’une disposition à la loi qui permit le classement d’une première réserve officielle en 1961, le lac Luitel dans l’Isère, suivie de la création de celles de Tignes-Champagny et Val d’Isère-Bonneval contigües au parc national de la Vanoise, en 1963, et de l’officialisation en 1968 de la réserve du Néouvielle dans les Hautes Pyrénées, créée en 1935 à l’initiative de la Société National de Protection de la Nature (SNPN) et du professeur Pierre Chouard (1903-1983), mitoyenne du parc national des Pyrénées Occidentales. La SNPN encouragera quelques années plus tard les propriétaires privés à constituer leurs terrains en « réserves libres ».

Ces outils juridiques faisaient aussi défaut pour la préservation de la faune et de la flore en dehors de la législation et de la réglementation de la chasse, des nuisibles et de la pêche. Dans un premier temps, en 1962, le ministre de l’Agriculture fit jouer son pouvoir réglementaire pour protéger, c’est-à-dire interdire à la chasse sur l’ensemble du territoire certaines espèces jusqu’alors classées nuisibles telles que les aigles, le balbuzard, le hibou grand-duc, etc. et faire réglementer par les préfets, le statut départemental des autres espèces pouvant être classées nuisibles. En 1964, pour aider ces derniers dans cette tâche, le ministre désigna des « conseillers biologistes » dans chaque département.

De la même façon, le ministre de l’Agriculture utilisa son pouvoir réglementaire pour, sur proposition de Michel Brosselin au titre des activités du bureau MAR, constituer un réseau de réserves de chasse pour le gibier d’eau sur le domaine public fluvial, mesure qui fut étendue en 1968 sur le domaine public maritime.

Pour contenir la poussée urbaine et son appétit dévorant pour les espaces boisés, le ministère de la Construction et celui de l’Agriculture firent adopter l’ordonnance du 31 décembre 1958 qui a ouvert la possibilité de classer certains espaces boisés urbains et périurbains en zone inconstructible dans les plans d’urbanisme, futurs plans d’occupation des sols (POS) qui seront institués par la loi d’orientation foncière de 1967. De même, pour limiter l’urbanisation sauvage du littoral de la côte d’Azur le ministère de la Construction se dota l’année suivante d’un outil juridique lui permettant de délimiter des « périmètres sensibles » au titre desquels « le permis de construire peut-être refusé si les constructions, par leur situation, leurs dimensions, ou l’aspect extérieur […] sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Cette disposition fût étendue à l’ensemble du territoire deux ans plus tard. Cette action anticipe la création du Conservatoire du littoral en 1975 et, plus tard, l’adoption de la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.

Pour les grands espaces dotés de paysages et d’écosystèmes remarquables, il n’existait pas non plus d’outils juridiques. Les parcs nationaux avaient cette fonction à l’étranger, et, paradoxalement, dans les colonies françaises où de nombreux parcs et réserves avaient été créés par les gouverneurs de ces territoires. Mais il n’en existait pas en France métropolitaine malgré plusieurs tentatives au commencement du siècle. Depuis plusieurs années déjà, différents courants de pensée militaient en faveur de leur création. On y trouvait tout un aéropage de personnalités, parmi lesquelles il est nécessaire de distinguer l’ancien maire de Bonneval sur Arc, Gilbert André (1927-2018) pour le rôle singulier qu’il eut dans la réflexion préalable à l’élaboration de la loi et ensuite pour sa participation active à la création du parc de la Vanoise. Finalement, toutes ces voix, ajoutées aux demandes récurrentes exprimées par le Conseil National de Protection de la Nature, convainquirent le Premier ministre, Michel Debré (1912-1996), lequel demanda en décembre 1959 à la direction générale des Eaux et Forêts de préparer un texte permettant de créer des parcs nationaux.

L’élaboration du texte a été fortement influencée par les débats qui avaient cours, depuis plusieurs années, autour d’un projet de parc dans le massif de la Vanoise. Les scientifiques étaient assez hostiles à l’idée d’ouvrir le parc au public, ce qui leur paraissait contradictoire avec l’idée de protection et peu compatible avec leurs projets de recherches. D’autres voulaient, au contraire, en faire un lieu largement ouvert pour offrir une compensation aux populations urbaines privées du contact avec la nature. Les chasseurs y voyaient un moyen de reconstituer des populations de gibier, et d’autres, un outil de développement pour conforter les populations locales et l’économie en difficulté.

Malgré ces attentes multiples et diverses, le texte de loi fut rapidement mis au point en relation étroite avec le Conseil National de la Protection de la Nature dont l’une des missions consistait, justement, à définir le statut des parcs nationaux et des réserves. En proposant que la loi fasse référence au schéma d’un zonage radioconcentrique, comprenant des réserves intégrales à l’intérieur d’une zone centrale entourée d’une zone périphérique, l’architecte Denys Pradelle (1913-1999), en charge du projet de parc, réalisera une apparente synthèse des attentes recensées et fera naître la conception des « parcs nationaux à la française ».

La loi fut adoptée par le Parlement et promulguée l’année suivante par le Général de Gaulle, le 22 juillet 1960. Elle permit, pour la période considérée, la création des parcs nationaux de la Vanoise et de Port-Cros (1963), des Pyrénées occidentales (1967) et des Cévennes (1970).

Pour les citadins, de plus en plus nombreux à vouloir s’aérer les fins de semaine et pour les touristes et vacanciers, les forêts publiques offraient un lieu de détente en rapport avec leur fonction sociale mais elles bénéficiaient jusqu’alors de bien peu d’aménagements spécifiques pour permettre leur accueil sans porter atteinte au cadre naturel, à la faune et à la flore, au calme des lieux et à la production forestière. La direction générale proposa en 1962 au ministre de l’Agriculture, Edgar Pisani (1918-2016), une véritable politique d’aménagement des forêts domaniales et des collectivités pour l’accueil des visiteurs et des promeneurs. Cette nouvelle politique eut des effets bénéfiques sur l’éducation du public et permit notamment, en raison de la demande sociale qu’elle engendra, de valoriser et de protéger les forêts et espaces verts périurbains.

Cette politique d’ouverture des espaces publics forestiers avait aussi un corollaire : l’acquisition par l’État et les collectivités de forêts remarquables menacées en région parisienne et près d’autres agglomérations telles que Lille et Marseille et sur le littoral.

Le smog de Londres

On le voit, s’agissant de la protection de la nature stricto sensu, les moyens d’intervention de l’État étaient limités au départ mais les gouvernements successifs les renforcèrent tout au long de la période. En a-t-il été de même dans le champ de l’environnement industriel ?

En décembre 1952, à la faveur de conditions anticyclonique particulières, un brouillard acide intense et épais se répand sur Londres et s’y maintient durant plusieurs jours consécutifs, générant une surmortalité faisant plusieurs milliers de morts et de victimes. En cause : la pollution de l’air issue de la combustion du charbon des usines et du chauffage domestique.

En France, cette catastrophe poussera le gouvernement à installer une commission interministérielle pour l’étude de la pollution atmosphérique qui ne produira aucun résultat tangible. Face à cette situation de léthargie administrative, des militants engagés dans la lutte contre la pollution de l’air décidèrent de se mobiliser et fondèrent à cette fin en 1958, l’Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA). Ces attentions portées à la lutte contre cette pollution conduiront en 1961, en dépit de l’action énergique de l’APPA, à une adaptation timide de la loi Morizet de 1932 qui avait été la première loi à intégrer la notion de « pollution atmosphérique ». En effet, en plein redémarrage industriel, les milieux politiques et patronaux craignaient que l’imposition de « contraintes » - on ne disait pas encore « environnementales » pour lutter contre les pollutions et nuisances des usines (raffineries, papeteries, aciéries, cimenteries, centrales thermiques…) ne viennent contrecarrer les efforts déployés à grands renforts d’investissements.

Le traumatisme engendré par la catastrophe qui survint le 4 janvier 1966 dans la raffinerie de Feyzin réveilla à nouveau les consciences, conduisant le gouvernement alors dirigé par Georges Pompidou à réformer le système de contrôle des établissements dangereux, insalubres ou incommodes datant de 1917 et à constituer une inspection des établissements classés aux pouvoirs renforcés, confiée au corps des ingénieurs des mines et parallèlement, créer un service de protection contre les nuisances industrielles au ministère de l’Industrie, ce qui n’a encore constitué qu’une étape vers une intégration plus forte et plus volontariste des préoccupations environnementales dans la sphère industrielle.

Mais c’est dans le domaine de la gestion de l’eau et de la lutte contre sa pollution que ce même gouvernement innova le plus en faisant adopter la loi sur l’eau du 16 décembre 1964 dont les chevilles ouvrières furent Ivan Chéret (1924-2020), surnommé le « père des agences de l’eau », chargé du dossier de l’eau à la DATAR et Jean-François Saglio, un jeune ingénieur des mines en poste dans l’arrondissement minéralogique de Metz.

Afin de faire face à l’évolution de la démographie, au développement industriel et aux problèmes de pollution grandissants, la loi créa les conditions institutionnelles, financières et techniques d’une gestion globale et décentralisée de la ressource en eau. Elle instaura une logique de gestion par grands bassins hydrographiques (et non selon les limites administratives), s’inspirant de ce qui se pratiquait dans la Ruhr en Allemagne ; la création, dans chaque bassin, d’un comité pluri-acteurs chargé d’élaborer la politique de gestion de l’eau, et d’une agence financière chargée de percevoir une redevance sur les usages de l’eau et d’en réinvestir le produit dans la préservation et la gestion de la ressource préfigurant la définition du principe « pollueur-payeur » qui sera adopté par l’OCDE en 1972 et intégré à la législation française par la loi « Barnier » de 1995.

Après les réserves naturelles et les parcs nationaux, la recherche d’une troisième voie
Dans un pays comme la France où l’emprise humaine avait été et demeurait forte, il apparaissait évident que les parcs nationaux seraient peu nombreux en raison des exigences auxquelles ils devaient répondre et des oppositions locales à leur création. Toutefois, d’autres formules étaient pratiquées à l’étranger, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne, permettant de satisfaire les besoins en loisirs des habitants des grandes agglomérations, sans pour autant rechercher des buts scientifiques ou des sites naturels exceptionnels.

À l’initiative d’Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture, qui s’était rendu en Allemagne en 1963, où il avait été intéressé par sa visite du Luneburger Heide Naturpark et d’Olivier Guichard, délégué à l’Aménagement du territoire, une mission à la tête de laquelle se trouvait Yves Bétolaud, fut envoyée en Allemagne fédérale, en Belgique et aux Pays-Bas en juillet 1964, pour étudier les réalisations de ces pays et particulièrement le système des Naturparks allemands. À son retour, elle rédigea un rapport préconisant d’adopter en France une formule voisine. Mais encore fallait-il se mettre d’accord sur une définition à la française et la traduire en termes administratifs et juridiques opérationnels. Plusieurs philosophies et propositions s’affrontaient.

Pour trouver une solution innovante et viable, un groupe d’étude interministériel animé par Serge Antoine et Henri Beaugé (1920-2015) se mit au travail et une commission ad hoc itinérante parcourut la France du Nord au Sud et d’Est en Ouest pour repérer et évaluer les potentialités de certains territoires à devenir des « parcs naturels régionaux ». Ceux-ci devaient tout à la fois se distinguer des parcs nationaux et répondre aux aspirations économiques et sociales de ces territoires, souvent déshérités et aux nouvelles attentes de la société urbaine en mal de nature, de grands espaces et d’air pur. La formule n’était pas simple à mettre au point mais l’équipe constituée autour de Serge Antoine, faisant profit de toutes ces remontées du terrain saura finalement la trouver, bien qu’elle fût qualifiée par le rapporteur du décret en Conseil d’État de « droit à l’état gazeux » !

Elle sera discutée lors des « journées de Lurs » en Provence organisées par la DATAR en 1966 durant lesquelles, sous la houlette de Serge Antoine et de Jean Blanc, l’autre père des parcs, - un berger à la personnalité singulière et charismatique - fonctionnaires, techniciens, juristes, préfets et politiques confrontèrent leurs réflexions dans un enthousiasme partagé. Mais, paradoxalement, les protecteurs de la nature, dans leur ensemble, ne soutinrent pas le projet et en furent même très critiques, à l’instar de la presse nationale et du Canard enchaîné ; à l’exception d’un Michel Brosselin, et d’un Jean-Baptiste de Vilmorin (1930-2018), ce dernier affirmant que « c’est [à Lurs] qu’a été esquissée une conception de la protection de la nature qui inclut l’homme ». Mais la DATAR et Serge Antoine n’eurent cure de cette opposition et d’autres, qui se manifestèrent. Ils continuèrent sur leur lancée et parvinrent à sortir l’année suivante, le décret du 1er mars 1967 que le Général de Gaulle voulut signer personnellement.

Quinze jours plus tôt, toujours à l’initiative de Serge Antoine, était mis sur pied un « cycle d’études et de formation » des animateurs et (futurs) chargés de mission et directeurs de parcs, composé de seize postulants. Ils prirent le départ avec Jean Blanc, comme chef de file, pour un tour d’Europe d’un an en voitures, et même du monde avec les États-Unis et le Japon, dans une quinzaine de pays avec la mission de se former au contact des réalisations étrangères. À leur retour, ils seront envoyés dans les premiers projets de parcs (Landes de Gascogne, Morvan, Lorraine, Armorique, Vercors...) et trois ans après, les premiers parcs - huit sont créés de 1968 à 1970 - et ceux qui sont à l’étude créeront une fédération pour se rassembler et promouvoir leur identité.

En route vers une loi sur la protection de la nature ?

Comme il a été souligné au commencement de cet article, les connaissances sur les milieux naturels, la faune et la flore étaient fragmentaires et empiriques, ce qui amenait à porter au coup par coup des jugements sur les risques que les projets d’équipement pouvaient faire encourir aux richesses naturelles. L’équipe en charge de la protection de la nature au ministère de l’Agriculture ressentit le besoin de disposer de plus d’informations pour être plus efficace. Cette préoccupation était partagée par le Conseil National de la Protection de la Nature. Celui-ci demanda en 1968 à la sous -direction de l’Espace Naturel de rassembler les données disponibles. À cette fin, par une circulaire du 21 avril 1969, les ministres de l’Agriculture et des Affaires culturelles demandèrent aux préfets de conduire un « pré-inventaire des sites et richesses naturelles de la France » en faisant renseigner des fiches élaborées par le Muséum National d’Histoire Naturelle. Devant l’urgence, instruction leur était donnée de recenser en priorité et rapidement les sites les plus remarquables afin de pouvoir parer à leur destruction.

Au mois de septembre 1968, alors que la France venait de connaître les événements de Mai 68, elle accueillit à Paris, à l’UNESCO, la conférence sur la biosphère. Le rapport présenté par la délégation française annonçait, pour la première fois, qu’un texte de portée générale sur la protection de la nature était en préparation dans les services du ministère de l’Agriculture. Il s’agissait d’un premier projet de protection juridique du patrimoine naturel français. Élaboré par la sous-direction de l’Espace Naturel, le texte, un décret, prévoyait entre autres dispositions de donner la possibilité aux préfets d’établir par arrêté des listes d’espèces végétales et animales et des minéraux à protéger dans leur département. Ce texte fit l’objet d’un examen approfondi par le Conseil d’État, au terme duquel il conclut qu’il fallait en passer par la voie législative, mais aucune suite ne lui fut donnée à ce moment-là.

Après l’électrochoc qu’avait constitué « l’affaire de la Vanoise », l’attention portée par le président de la République et le gouvernement aux questions environnementales s’intensifia et les choses s’accélérèrent. À l’instigation de Serge Antoine, alors chargé de mission à la DATAR et de quelques autres fonctionnaires, dont Alain Bacquet, Philippe Saint-Marc et Yves Bétolaud, d’experts et militants, tels Christian Garnier, issus du Centre interdisciplinaire de socio-écologie, un laboratoire d’idées mis à contribution pour l’occasion, une réflexion fut engagée pour élaborer un programme global d’action sur l’environnement.

À la suite de cette initiative qui fut portée à la connaissance du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas (1915-2000), celui-ci écrivit le 24 octobre 1969 à quatorze de ses ministres pour leur demander de lui proposer « un programme d’action propre à assurer une maîtrise plus grande de l’environnement, par les moyens, notamment, de la lutte contre les nuisances, de la réduction du bruit, de l’élimination des déchets, de la sauvegarde des sites et des paysages, de la protection des grands espaces naturels ». Il demandait au ministre délégué chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire, André Bettencourt (1919 - 2007) d’impulser ce projet et d’en charger la DATAR. Celle-ci anima un groupe de travail interministériel pour finaliser le programme en relation avec Louis Armand (1905-1971), académicien, polytechnicien, ingénieur des mines et ancien directeur général de la SNCF de 1949 à 1959, un « remueur d’idées », à qui le Premier ministre avait parallèlement demandé de conduire une réflexion sur l’évolution à long terme des techniques et de la société.

Discours de présidents

La décennie 1970 commença comme étant une année faste pour la protection de la nature. Ce fut tout d’abord le discours mémorable et visionnaire du président de la République, Georges Pompidou, à Chicago, le 28 février 1970, lors de son voyage aux États-Unis.

À bien des égards, cette allocution restera comme fondatrice de la politique de la protection de la nature et de l’environnement qui allait être lancée en France sous son impulsion. Il y déclarait notamment :

« L’emprise de l’Homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte le risque de destruction de la nature elle-même. Il est frappant de constater qu’au moment où s’accumulent et se diffusent de plus en plus les biens de consommation, ce sont les biens élémentaires les plus nécessaires à la vie, comme l’air et l’eau qui commencent à faire défaut. C’est en grande partie la conséquence d’un développement urbain qui a atteint des proportions alarmantes et préoccupe tous les responsables. […]

La ville, symbole et centre de toute civilisation humaine, est-elle en train de se détruire elle-même et de sécréter une nouvelle barbarie ? […]

La nature nous apparaît de moins en moins comme la puissance redoutable que l’Homme du début de ce siècle s’acharnait encore à maîtriser, mais comme un cadre précieux et fragile qu’il importe de protéger pour que la Terre demeure habitable à l’Homme. Il faut créer et répandre une sorte de morale de l’environnement imposant à l’État, aux collectivités, aux individus, le respect de quelques règles élémentaires, faute desquelles le monde deviendrait irrespirable ».

Il précisait sa pensée ainsi : « il s’ensuit que le rôle des pouvoirs publics ne peut aller qu’en s’étendant car c’est à eux qu’il convient d’édicter les règles et de prononcer des interdictions. Mais l’application de ces règles ne peut être laissée à la seule discrétion des fonctionnaires et des techniciens. Dans un domaine dont dépend directement la vie quotidienne des Hommes, s’impose plus qu’ailleurs le contrôle des citoyens et leur participation effective à l’aménagement du cadre de vie de leur existence ».

Voici maintenant des extraits du discours sur l’état de l’Union que prononça, peu de temps avant, le 22 janvier, le président américain Richard Nixon :

« Je passe maintenant à un sujet qui, à côté de notre désir de paix pourrait bien devenir la préoccupation majeure du peuple américain dans la décennie des années 1970. Au cours des dix prochaines années, notre richesse va s’accroître de 50 %. La question primordiale est celle-ci : serons-nous réellement plus riches de moitié, plus prospères, plus heureux de moitié ? Ou cela signifiera-t-il qu’en 1980 le Président qui se tiendra à cette place, faisant un retour sur les dix années écoulées se souviendra d’une décennie où 70 % de notre population aura vécu dans des centres urbains paralysés par la circulation automobile, suffoqués par le brouillard industriel, empoisonnés par l’eau, assourdis par le bruit et terrorisés par la criminalité ? […]

La grande question des années 1970 est, allons-nous continuer ainsi ou, allons-nous faire la paix avec la nature et commencer à faire des réparations pour les dommages que nous avons fait à notre air, à notre terre, et à notre eau ? […]

De l’air pur, de l’eau propre, des espaces ouverts — cela devrait être un droit à la naissance de tous les Américains. Si nous agissons maintenant, cela peut l’être. Nous continuons de penser que l’air est gratuit. Mais l’air pur n’est pas gratuit, pas plus que l’eau propre. Le prix à payer pour le contrôle de la pollution est élevé. Au cours de nos années passées d’insouciance, nous avons contracté une dette envers la nature, et maintenant cette dette est là […]

Le programme que je proposerai au Congrès sera le plus complet et le plus coûteux dans ce domaine dans l’histoire de l’Amérique. Nous ne pouvons plus nous permettre de considérer l’air et l’eau comme des biens libres d’être abusés par quiconque sans égard aux conséquences. Au lieu de cela, nous devrions commencer maintenant à les traiter comme des ressources rares, que nous ne sommes pas plus libres de contaminer que nous sommes libres de jeter des ordures dans la cour de notre voisin. […]

Maintenant, je me rends compte qu’on dit souvent qu’il y a une contradiction fondamentale entre la croissance économique et la qualité de vie, de sorte que pour avoir l’un, il faudrait abandonner l’autre. La réponse n’est pas d’abandonner la croissance, mais de la réorienter. Une croissance économique soutenue nous donne les moyens d’enrichir la vie elle-même et d’améliorer notre planète en tant que lieu accueillant pour l’homme. Chaque individu doit s’engager dans ce combat pour être gagné […] ».

Le 10 février suivant, le président Nixon soumettait au Congrès son programme d’action en ces termes : « Le moment est venu. Nous ne pouvons plus attendre pour réparer les dommages infligés à la nature et mettre au point de nouveaux critères pour l’avenir ». Ainsi, il donnait corps à la mise en œuvre de la loi nationale sur l’environnement (National Environmental Policy Act ou NEPA), adoptée l’année précédente et applicable au 1er janvier 1970. Le programme comportait trente-sept points se décomposant en autant de projets de loi et décrets dont l’essentiel concernait la pollution de l’eau et de l’atmosphère pour un coût évalué à 10 millions de dollars. Au programme, aussi, la création, à la fin de l’année d’une Agence de protection de l’environnement (United States Environmental Protection Agency ou EPA), préfiguration des ministères ou structures semblables qui allaient se créer dans les pays de l’OCDE l’année suivante, en 1971.

Certains analystes de l’histoire environnementale tendent à rapprocher, voire à établir une filiation entre le discours du président Nixon, dans lequel, on le voit, il dresse un bilan très négatif de la situation environnementale des États-Unis et propose les grandes lignes d’un programme d’actions ambitieux, et le discours du président Pompidou prononcé un mois plus tard sur le sol américain.

On peut, en effet, constater qu’ils font tous les deux le même constat sévère, qu’ils dénoncent les mêmes maux, dont la croissance urbaine incontrôlée, et qu’ils appellent à un sursaut de la société, à un engagement des citoyens, à des réglementations correctrices et, pour le président Nixon, à une réorientation de la croissance.

La comparaison s’arrête là car les situations dans lesquelles les deux présidents sont placés et dans lesquelles ils s’expriment sont différentes. On peut penser que ce qui s’est passé aux États-Unis sous la présidence Nixon (1969-1974) a pu inspirer le président et le gouvernement français, dans la préparation des décisions qu’ils prirent durant la même période. Cela a pu jouer, et a sans doute joué, effectivement, comme l’a montré Florian Charvolin dans sa thèse, « L’invention de l’environnement en France », en raison des nombreux allers et retours entre les deux rives de l’Atlantique de Serge Antoine et de Jérôme Monod fervents et assidus observateurs de ce qui se passait aux États-Unis à ce moment-là.

Mais nous avons montré, en en faisant le récit historiographique, la lente et graduelle prise de conscience des questions environnementales entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’immédiat avant premier choc pétrolier de 1973, au moins pour la partie de l’humanité qui ne souffrait pas d’un sous-développement chronique, c’est-à-dire les pays industrialisés de l’OCDE.

Cette prise de conscience a opéré par cercles concentriques, en partant d’un centre avant-gardiste ayant la prescience des enjeux environnementaux, constitué de personnalités scientifiques diverses, de fonctionnaires internationaux, de penseurs, certains agissant au sein d’institutions internationales, d’autres par le pouvoir de persuasion de leurs seuls écrits ou de leur enseignement académique.

Des personnalités françaises éminentes telles que Roger Heim, François Bourlière, Bertrand de Jouvenel, Théodore Monod, René Maheu, Michel Batisse, Jean Dorst, René Dubos, Serge Antoine appartinrent à ce premier cercle avec d’autres comme Jacques Ellul par sa critique radicale de la société technologique et du productivisme ambiants. Il est trop peu signalé par les historiographes de cette histoire que toutes ces personnalités, et bien d’autres, moins connues, se connaissaient et échangeaient avec leurs pairs des autres pays, fréquentaient les mêmes réunions et conférences et propageaient ainsi leurs idées cherchant à les faire prévaloir auprès des décideurs et des gouvernements, dont le leur.

Cette prise de conscience s’est ensuite diffusée par percolation dans des milieux perméables à ces nouveaux courants de pensée. Elle a gagné et influencé progressivement d’autres auditoires, d’autres cercles de la société, et finalement ceux du pouvoir politique.

On peut donc sans doute considérer, que les responsables politiques des pays développés et leurs élites, instruits par cette avant-garde internationalisée d’esprits éclairés, visionnaires et souvent engagés, et poussés par leurs opinions publiques, réagirent peu ou prou de la même manière et en même temps. Ainsi, entre 1970 et 1974, treize pays, tous membres de l’OCDE, créèrent un ministère de l’environnement ou une structure gouvernementale apparentée, les deux premiers étant les États-Unis et la Grande Bretagne en 1970, puis la France en 1971.

Cent mesures pour l’environnement… et un ministère

Au retour du président Pompidou des États-Unis, pour donner plus d’ampleur à l’action entreprise par leur ministère, et peut-être aussi parce qu’ils pressentaient les changements à venir pouvant mettre en cause leur champ d’intervention, leurs traditions, voire leur compétence, plusieurs ministres renforcèrent et adaptèrent leurs services à la nouvelle donne. Ainsi, le ministre de l’Agriculture créa une direction générale de la Protection de la Nature (DGPN) le 4 mars 1970. Elle était notamment chargée « d’étudier, animer, coordonner, l’ensemble des actions tendant à la défense de la nature et à la préservation des équilibres biologiques, à l’aménagement du milieu naturel ». Le ministre de l’industrie créa de son côté une direction de la Technologie et de l’Environnement Industriel et une division des nuisances industrielles. Le ministère de l’Équipement se dota d’une mission permanente de l’environnement.
Le programme pour l’environnement qu’avait demandé le Premier ministre fut bouclé au mois de mai 1970 en comité interministériel. Il fut finalement adopté le 10 juin suivant en Conseil des ministres sous le titre de « Cent mesures pour l’environnement ». A cette occasion, le président Pompidou, déclara notamment : « Il ne s’agit que de la toute première étape d’une action qui demandera persévérance et obstination. L’action à mener ne peut qu’être interministérielle. Ce qui est en cause, ce sont les conditions mêmes et le cadre de vie des hommes ».

Concrètement, ces « cent mesures » s’articulaient autour de trois grands domaines d’actions :

  le premier comportait une somme de dispositions à prendre, à caractère législatif ou réglementaire ;
  le second listait tout un ensemble d’actions pour protéger, promouvoir ou servir d’exemple dans les champs d’intervention les plus divers (élimination des déchets et des carcasses de voitures, création d’espaces verts, lutte contre le bruit, création de réserves naturelles, lutte contre la pollution par les lessives, etc.) ;
  le troisième s’intéressait à introduire une pédagogie de l’environnement dès l’école, de manière à former et à informer tous les citoyens appelés à prendre conscience de la gravité des problèmes environnementaux.

Les associations de protection de la nature qui attendaient le dépôt au Parlement d’une loi sur la protection de la nature depuis l’annonce qui en avait été faite à la conférence de l’UNESCO en 1968, pouvaient penser que leur attente allait prendre fin par la mesure 58 inscrite au programme, celle-ci mentionnant qu’un projet de loi allait être déposé avant la fin de l’année 1970 sur l’interdiction du prélèvement de certaines espèces rares et menacées.

Compte-tenu du nombre des services et organismes intéressés au plan national, comme au plan départemental, par ces mesures et de la nécessité d’intégrer les diverses actions dans une politique cohérente, le gouvernement institua par décret du 30 juillet 1970, un Haut-Comité pour l’Environnement chargé de suivre l’application des mesures de ce premier programme et de faciliter la concertation interministérielle : « il connaît des problèmes de l’amélioration du cadre de vie, de l’encombrement, des pollutions et nuisances de toutes sortes, de la maîtrise des paysages et, plus généralement, de tous les éléments positifs ou négatifs qui concourent à l’environnement de l’Homme ».

L’année 1970 avait bien commencé en étant riche de signes politiques et de décisions favorables à la protection de la nature et de l’environnement mais elle se terminait sans que la loi annoncée à la conférence de l’UNESCO et attendue par les associations de protection de la nature n’ait été déposée devant le Parlement.

Et pour cause, le début de l’année 1971 allait créer une surprise mais d’une autre nature. Après l’annonce qui en avait été faite par le communiqué de l’Élysée du 7 janvier, un décret daté du 2 février fixait les attributions du tout nouveau ministre délégué auprès du Premier ministre, Robert Poujade, chargé de la protection de la nature et de l’environnement. Le rêve devenait enfin réalité pour tous ceux qui pensaient que la protection de la nature et de l’environnement ne serait efficace que le jour où elle serait prise en charge par un ministère de plein exercice, un « grand » ministère, comme l’écrivait le secrétaire général de la SNPN, Christian Jouanin (1925-2014) dans le Courrier de la Nature au début de cette année 1971.

La suite est une autre histoire…

Henri Jaffeux, ancien président de l’Association pour l’Histoire de la Protection de la Nature et de l’Environnement (AHPNE)

(*) Emprunté au titre du livre de Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun et Yves Dupont. La Découverte, Paris, 1989.

Bibliographie  :
  Le ministère de l’impossible. Robert Poujade. Calmann-Lévy, Paris, 1975.
  L’invention de l’environnement en France. Florian Charvolin. La Découverte, Paris, 2003
  Les 40 ans du ministère de l’Environnement, Comité d’histoire, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. Revue « Pour mémoire ». Hors-série printemps 2013
  L’invention politique de l’environnement, Sous la direction de Stéphane Frioux et Vincent Lemire Revue « VINGTIEME SIECLE », N° spécial, 2012
  Tout vert ! Le grand tournant de l’écologie 1969-1975. Sous la direction de Cécile Blatrix et Laurent Gervereau, Musée du vivant, AgroParisTech, 2016

Témoignage radio : France Culture, La Fabrique de l’Histoire. 28 mars 2011. Histoire de l’environnement. Interview de Robert Poujade par Emmanuel Laurentin.


Par Henri Jaffeux
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