Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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FABRE Jean-Henri (1823-1915)

Né en 1823 dans un village perdu du Rouergue (Aveyron), une des régions les plus pauvres de France (pays « du seigle et de la châtaigne »), Jean-Henri Fabre est laissé à trois ans dans la ferme de ses grands-parents. Aucun livre à l’horizon : rien que la communale du village. Les parents du petit Fabre tiennent des bistrots de ci de là (Rodez, Toulouse, Montpellier, Avignon) et envoient leur fils au collège local, où il découvre ses premiers livres. Il quitte l’école à quatorze ans et fait des petits boulots alimentaires. Mais il lit tout ce qu’il peut, avidement. À 17 ans, il se présente seul au concours de l’École normale d’Avignon, où il décroche une bourse. Il sort premier de l’École et est nommé instituteur à Carpentras, où il rencontre sa femme qui lui donnera quatre enfants, dont les deux premiers meurent en bas âge.

Fabre a trouvé sa voie : l’enseignement. Il passe le baccalauréat de lettres, puis de sciences, toujours seul. Il décroche ensuite plusieurs licences, lettres et sciences, et il est nommé « répétiteur de physique » au collège Fesch d’Ajaccio. Il poursuit là l’herbier qu’il a commencé en Provence à vingt ans. Et il rencontre deux botanistes chevronnés qui font l’inventaire de la flore corse. Ceux-ci l’incitent à se tourner résolument vers les sciences naturelles, alors qu’il enseigne les mathématiques, la physique et la chimie. Puis Fabre est nommé professeur au lycée impérial d’Avignon. Il initie ses élèves à la botanique et à l’entomologie au cours de sorties de terrain. Il approfondit ses connaissances par la lecture et, pour la première fois, il monte à Paris en 1855 soutenir plusieurs thèses, qu’il a préparées seul, sans maître de thèse. Il préfère mener des études approfondies, à titre personnel, plutôt que le concours de l’agrégation, qui ne sert qu’à la carrière. Mais sa réputation de naturaliste gagne Paris, notamment grâce aux ouvrages de botanique, de chimie agricole, d’entomologie ainsi qu’aux manuels scolaires qu’il publie en nombre à partir de 1855.

En 1865, il reçoit la visite de Pasteur, missionné pour guérir un mal qui frappe le ver à soie. Mais le courant ne passe pas entre le naturaliste de terrain et le grand savant qui ne sait pas ce qu’est un cocon ni une chrysalide. Les talents de pédagogue du naturaliste incitent Victor Duruy, ministre de l’instruction publique, à inviter Fabre à Paris pour le présenter à l’Empereur Napoléon III. L’empereur lui fait remettre la légion d’honneur et lui propose de devenir le précepteur du prince impérial. Fabre refuse tout net car il ne se voit pas vivre confiné dans le palais des Tuileries, loin de sa chère Provence.

Victor Duruy lui offre une autre chance. Comme il vient de créer un enseignement pour les jeunes filles qui, pour une fois, ne se limite pas à la couture et à la cuisine, Fabre enseigne les sciences aux jeunes filles d’Avignon, y compris les sciences naturelles et donc, entre autres, la fécondation des fleurs. Scandale dans la bonne bourgeoisie d’Avignon, qui s’offusque des audaces pédagogiques de Fabre ! Ecœuré par cette cabale, il démissionne de l’Éducation nationale et s’installe à Orange, où il poursuit l’écriture de ses ouvrages d’initiation aux sciences (mathématiques, physique, chimie, astronomie, botanique, « insectes utiles » ou « ravageurs », etc.), notamment La science élémentaire : lectures pour toutes les écoles (Ch. Delagrave, 1864-1881). Son éditeur parisien, Charles Delagrave, se félicite d’avoir misé sur cet autodidacte méridional qui sait à merveille expliquer les choses à tous, enfants ou grandes personnes. Il le pousse à se lancer dans la rédaction de ses souvenirs entomologiques.

Par son intense production livresque (près de 150 ouvrages de son vivant), Fabre se constitue un pactole qui va lui permettre de réaliser son rêve : acquérir un coin de Provence où il puisse entasser toutes ses trouvailles et observer la nature à loisir, chez lui. En 1879, à 56 ans, il achète une propriété abandonnée à Sérignan-du-Comtat (Vaucluse) qu’il intitule l’Harmas, c’est-à-dire la friche. C’est là qu’il achève la rédaction de ses fameux Souvenirs entomologiques (10 tomes), qui décrivent la vie des insectes au quotidien et surtout ce mystérieux instinct qui les guide à coup sûr. Ces Souvenirs seront traduits en une quinzaine de langues et lui permettront de dialoguer par lettres avec Charles Darwin. Fabre, observateur d’un instinct qu’il n’explique pas, n’accepte pas la théorie de l’évolution du savant anglais, le transformisme. Il reste résolument fixiste. Les milieux universitaires le snobent, car on y publie pour ses pairs, donc pour la carrière, et non pour répandre le savoir jusque dans les cours d’école. L’entomologiste n’en a cure : il préfère raconter les prouesses du scorpion vivant plutôt que d’étudier son cadavre en laboratoire.

Fabre ne se complaît cependant pas dans une vie sereine et tranquille. Il se met à peindre les champignons, avec un talent d’aquarelliste qu’on ne soupçonnait pas. Il va ainsi peindre 599 planches, qui sont aujourd’hui cotées en Bourse ! A la mort de sa femme, en 1885, il épouse sa bonne, qui lui donne trois nouveaux enfants, dont un fils qui va mourir à seize ans. Malgré sa peine, immense, il poursuit la rédaction de ses souvenirs, qu’un de ses fils va illustrer de photographies. Il est désormais une figure nationale, que le président Poincaré viendra saluer en 1913. On fait son portrait, on sculpte son buste. C’est la gloire. Mais elle ne lui monte pas à la tête. Humble il est né, humble il a vécu, humble il mourra, à 92 ans en pleine guerre, en 1915, alors qu’il a un fils sur le front.

En dehors du film Monsieur Fabre (1951), où son rôle est tenu par Pierre Fresnay, le grand naturaliste est un peu oublié aujourd’hui. Son souvenir est encore vif en Provence, où la ville d’Avignon l’a célébré en 2015 par deux expositions au Palais du Roure et au musée Louis Vouland. Ses plus grands admirateurs se trouvent aujourd’hui au Japon, d’où ils n’hésitent à venir faire le pèlerinage au Harmas, devenu propriété du Muséum national d’histoire naturelle.


Par Roger Cans
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